Archéologie - Pas-de-Calais le Département
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Hénin-Beaumont, CDIS parcelle ZR 26 - "Les Seizes", Rue du Docteur Laennec, 2015, fouille

Sur prescription du Service régional de l’archéologie du Nord-Pas-de-Calais, et suite à un diagnostic archéologique réalisé en 2013 sous la responsabilité de Laetitia Dalmau, le Centre départemental d’archéologie a effectué une fouille sur l’emprise d’un projet d’aménagement d’un Centre d’Incendie et de Secours sur le territoire de la commune d’Hénin-Beaumont au nord de l’autoroute A21, non loin de la polyclinique, entre la rue du Docteur Laennec et la route de Courrières (RD 919) au lieu-dit les Seize.

Le diagnostic a livré des vestiges qui sont à rattacher à la période protohistorique d’une part (La Tène moyenne et La Tène finale) et à la période gallo-romaine d’autre part (Haut-Empire). Le projet d’aménagement porte sur 20 000 mètres carrés, la prescription quant à elle concerne une surface de 14 000 mètres carrés.

L’opération de fouilles archéologiques a eu lieu du 23 février au 30 avril 2015. Six phases d’occupation allant de la Protohistoire au Moyen-âge et plus spécifiquement de l’âge du Bronze au Haut Moyen-âge ont été appréhendées. Les données de l’âge du Bronze et de La Tène sont peu nombreuses et c’est seulement à partir de La Tène finale que le site est pleinement occupé et ce durant tout le Haut-Empire. Un hiatus existe entre l’abandon de l’établissement rural antique et la période médiévale. Cette dernière n’est représentée que par une tombe isolée et ne peut donc être raccordée à aucune occupation précise ; elle peut tout aussi bien être isolée volontairement à l’époque médiévale. Les principaux vestiges mis au jour concernent ici un établissement rural implanté vraisemblablement à la fin de La Tène finale et qui perdure jusqu’à la fin du Haut-Empire. Cette occupation est installée dans un micro-territoire densément occupé par des établissements ruraux de toute taille et par de nombreuses villae.

«Les Seize», vue aérienne du site phase 2 vers l’ouest,

Phase 1 : l’occupation protohistorique du site de l’âge du Bronze au début de La Tène finale

 La première phase d’occupation du site regroupe ici une période assez large allant de l’âge du Bronze au début de La Tène finale. Aucune organisation particulière ne se dessine faute de vestiges archéologiques suffisants et la structuration de l’espace durant cette phase ne peut être appréhendée de manière générale. Le cœur du site protohistorique semble se situer en dehors de l’emprise de la présente fouille. L’âge du Bronze n’est caractérisé que par une unique fosse ayant livré du mobilier lithique de cette période et par des charbons de bois dont la datation 14C situe cet ensemble entre 858 et 795 avant Jésus Christ.

Un monument circulaire, peut-être à caractère funéraire, semble se rattacher lui aussi à l’âge du Bronze mais l’état d’arasement des structures et l’indigence du mobilier ne permet pas d’être affirmatif. Néanmoins, la stratigraphie et les données issues du comblement de ce fossé circulaire indiquent une pérennité de ce dernier dans le paysage au moins jusqu’à La Tène finale ; le comblement du fossé intervenant entre le milieu du 4ème siècle avant Jésus Christ et la deuxième moité du 2ème  siècle avant Jésus Christ. Des éléments attribués à La Tène moyenne ont été révélés lors du diagnostic de 2013, en dehors de l’emprise prescrite pour la fouille (céramiques et pesons en terre cuite).

Aucun autre vestige de cette période n’a été mis au jour lors de la présente opération.

Phase 2 : l’occupation de La Tène finale

Cette deuxième phase est caractérisée par un système d’enclos fossoyés et de structures concentrées en périphérie sud de l’emprise sur 1 600 mètres carrés environ. Le réseau de fossés mis en place contourne soigneusement le fossé circulaire de la phase précédente et intègre ce dernier au sein du système enclos, dans son angle le plus septentrional. La pérennité du monument circulaire indique au minimum une présence encore non négligeable dans le paysage de cet aménagement ancien, voire une continuité logique avec l’intégration de celui-ci dans la nouvelle installation de l’occupation. Cette dernière se développe ici clairement vers le sud, sous l’actuelle autoroute.

L’organisation interne de l’enclos et la nature même de cette occupation restent inconnues mais une occupation rurale de type habitat ou petite exploitation est envisageable en raison de la présence d’au moins un grenier sur poteaux, de quelques fosses et d’un silo. L’occupation rurale se déplace ensuite vers le nord, visiblement sans hiatus chronologique, sous la forme de l’installation puis du développement d’une exploitation agricole romaine de type villa.

Phase 3 : de La Tène finale à l’implantation de l’établissement rural romain durant la première moitié du 1er siècle après Jésus Christ

L’implantation d’un nouvel établissement agricole se fait entre la fin de La Tène finale et le début de l’époque romaine, plus au nord que l’occupation précédente et bien au delà des limites de l’emprise de fouille. De ce fait, une vision d’ensemble de cet établissement nous est impossible et ce jusqu’à son abandon. Néanmoins, l’organisation et la structuration des espaces indiquent une exploitation a minima de taille moyenne, de l’ordre d’au moins 1,5 à deux hectares, de type villa dont seule une partie de la pars rustica a pu être appréhendée.

Cette première phase d’installation de l’établissement agricole se fait de manière orthogonale et, même si une grande partie des vestiges fossoyés ont disparus du fait de l’érosion, un parcellaire se dessine au sein duquel deux bâtiments ont été mis au jour. Ces derniers trouvent des éléments de comparaison d’un point de vue structurel mais également sur le développement et l’évolution d’une période chronologique à une autre au sein de la Gaule septentrionale et plus spécifiquement sur le territoire des Ménapiens et des Nerviens durant la première moitié du 1er siècle après Jésus Christ.

Fonctionnant de manière conjointe, ces deux édifices en bois sont à rattacher au domaine de l’exploitation agricole et non de l’habitat et correspondent vraisemblablement à des espaces de stockage de denrée alimentaire et/ou d’étables. La taille de l’ensemble architectural un de type Alphen-Ekeren est à situer dans la moitié haute des bâtiments de ce type et rejoint l’estimation proposée d’un établissement de taille moyenne au minimum, si ce n’est par la surface, au moins par la capacité économique de stockage.
Cet essor important de l’occupation va perdurer lors de la phase suivante par la pérennisation de l’édifice sous une autre forme.

Phase 4 : le développement de l’établissement rural au Haut-Empire (fin du 1er- deuxième moitié du 2ème siècle après Jésus Christ)

L’établissement agricole évolue de manière significative et, bien qu’il se développe au delà des limites de fouille, un accroissement notable se dessine ne serait-ce que par l’agrandissement de l’enclos fossoyé principal et par l’édification en dur d’un nouveau bâtiment à l’emplacement de l’ensemble architectural un de type Alphen-Ekeren de la phase précédente.

Ce nouvel édifice est bâti sur des fondations en craie damée dotées de contreforts extérieurs. La connaissance de ce type de bâtiment s’est développée ces dernières années par la mise au jour d’un certain nombre d’entre eux au sein de la Gaule Belgique en raison de l’accroissement des fouilles archéologiques préventives et par de nouvelles études menées notamment sur les bâtiments d’exploitation à l’instar des travaux de Diederick Habermehl dans son récent ouvrage Settling in a Changing World. Le bâtiment mis au jour à Hénin-Beaumont est comparable à des édifices mis au jour entre autres à Poix-du-Nord, Seclin, Oudenaarde ou encore Cysoing.

La chronologie de ces édifices est actuellement plutôt située à partir de la fin du 1er - première moitié du 2ème siècle mais l’interprétation fonctionnelle de ces constructions est toujours en débat. Deux interprétations sont habituellement retenues : soit un édifice à vocation de stockage des récoltes (grenier à céréales), soit pour certains une fonction d’étable.

Concernant l’édifice d’Hénin-Beaumont, la superficie de 180 mètres carrés au sol en fait un bâtiment de grande taille et l’entrée méridionale, de part sa taille, pourrait très bien correspondre à l’accès du bétail pour une étable. Une fonction double est également envisageable. L’organisation du réseau fossoyé, toujours orthogonale, est remaniée, plus profondément ancrée et les différents espaces enclos sont dévolus probablement en partie à des zones de pacage. Le traitement des céréales est appréhendé en limite septentrionale de l’emprise de fouille par une série de fosses, de séchoirs à grains ; céréales stockées ensuite sur site, notamment dans le bâtiment sur fondation de craie. Cette phase chronologique correspond ici à la période d’apogée du site, à la phase d’acmé économique. Vers la fin du 2ème siècle après Jésus Christ ou plus probablement au début du 3ème siècle, l’établissement agricole d’Hénin-Beaumont connaît une mutation avec le comblement de la majorité de ses fossés et le rétrécissement progressif de la surface d’occupation ; du moins au regard des vestiges qui nous sont parvenus.

Phase 5 : la fin du Haut-Empire (fin du 2ème siècle – 3ème siècle)

De profonds changements interviennent sur le site à la fin du 2ème siècle et dans le courant du 3ème siècle ; changements caractérisés par l’installation de plusieurs bâtiments excavés de taille moyenne. Le système fossoyé est visiblement abandonné et l’édifice bâti sur fondation de craie damée pourrait perdurer au début de cette phase mais finit par être démantelé dans le courant du 3ème siècle vraisemblablement. L’organisation spatiale de cette phase d’occupation nous échappe en grande partie du fait de l’arasement conséquent du terrain, sur sa moitié orientale notamment, mais on observe une nette concentration des édifices excavés dans le quart nord-est de l’emprise de fouille.

Ces bâtiments excavés n’étant pas des lieux d’habitation, la présence d’éléments carpologiques découverts dans l’un d’entre eux pourrait orienter la nature de ces bâtiments vers une fonction agricole. D’un point de vue chronologique, la majorité des bâtiments excavés mis au jour dans la région apparaissent généralement dans la deuxième moitié du 2ème siècle et sont aussi répandus durant le 3ème siècle, ce qui correspond au phasage des bâtiments d’Hénin-Beaumont. On les retrouvera aussi de manière générale au Moyen-âge et plus particulièrement aux périodes mérovingienne et carolingienne. La continuité de l’occupation de cet établissement agricole au Bas-Empire n’est pas assurée.

Aucun vestige archéologique ou mobilier ne vient étayer cette hypothèse et soit l’arasement du site est trop important pour avoir pu conserver ces éléments, soit (plus vraisemblablement) le site est abandonnée de manière brutale et ne connaîtra plus d’occupation avant la période contemporaine, si ce n’est une structure isolée du haut Moyen-âge.

Phase 6 : La période médiévale

Cette dernière phase est caractérisée par une inhumation isolée localisée au centre du cercle protohistorique et dans l’angle de l’enclos formé par les fossés romains 1058 et 1099. Cette coïncidence est probablement le fait d’une perduration des fossés, du moins d’une partie du relief de ces derniers car l’analyse 14C effectuée sur deux des dents du squelette a livré une datation située entre 775 et 975 cal AD. La sépulture 1064, du haut Moyen-âge, n’a donc rien à voir avec les structures plus anciennes qui l’entourent. L’opération de fouilles archéologiques préventives au lieu-dit les Seize, rue du Docteur Laennec à Hénin-Beaumont a ainsi permis d’appréhender une partie d’une exploitation agricole gallo-romaine ; exploitation qui n’est vraisemblablement pas le fait d’une création ex nihilo mais issue d’un déplacement de l’occupation entre La Tène moyenne et la fin de La Tène finale et qui va perdurer jusque dans le courant du 3ème siècle après Jésus Christ.

Cette occupation que l’on pourrait qualifier de ferme est-elle pour autant une villa ? La littérature fait état de bon nombre de villae romaines en Gaule septentrionale et notamment en Picardie-Nord-Pas-de-Calais. Terme latin d’usage courant chez les archéologues, il n’en est pas moins polysémique et introduit par la même la confusion dans l’interprétation des occupations, comme l’a bien montré Michel Reddé dans les derniers ateliers du programme Rurland. Ce terme recouvre également une définition floue pour les latins eux-mêmes à commencer par Varron dans son Res rusticae au Livre I, 13. L’encre coulant encore sur ce sujet et n’ayant pas de vision complète de l’exploitation d’Hénin-Beaumont, nous la qualifierons donc de ferme.

Appréhendée sur plus d’un hectare, cette ferme se développe en dehors de l’emprise excavée vers le Nord essentiellement, mais également vers l’Est et l’Ouest. L’exploitation agricole atteint donc au minimum une surface au sol (de bâtiments, de cour et d’enclos) comprise entre 1,5 et 2 hectares ce qui la place d’ors et déjà parmi les fermes de taille moyenne. Peut-on alors caractériser d’un point de vue économique et social le statut de cette exploitation ? La vision partielle de la ferme entrave ici une fois de plus notre réflexion et il en va de même pour le mobilier archéologique peu abondant.

Néanmoins, la taille de certains bâtiments, et plus particulièrement l’ensemble architectural 1 de type Alphen-Ekeren et l’ensemble architectural 3 à contreforts externes, indique un certain degré de richesse de production au regard de la capacité de stockage potentielle. L’emprise fouillée de la ferme correspondant à une partie du secteur agricole et non à la zone d’habitat, il est ardu de caractériser la consommation des occupants de la ferme et dans une moindre mesure les importations et les échanges.

Cette ferme, de taille moyenne a minima, est ici localisé en territoire atrébate, non loin du chef-lieu de cité qu’est Nemetacum (Arras), à quelques kilomètres de la voie qui mène d’Arras à Cassel (Castellum Menapiorum) autre chef-lieu, non loin du "vicus" dit de Dourges et dans un secteur où de nombreux chemins et voies secondaires ont été repérés par l’archéologie et les prospections. Cette zone, située à la frontière du territoire des Nerviens et dans un contexte géographique particulier caractérisé par les vallées fluviatiles de la Deûle et de la Scarpe, est largement exploitée depuis la période gauloise jusqu’à la fin du Haut-Empire (voire pour certains sites jusqu’au Bas-Empire et au Haut Moyen-âge) avec parfois une continuité de l’occupation indéniable comme c’est le cas des sites de Dourges (Le Marais et la plateforme multimodale Delta 3) et d’Hénin-Beaumont (ZAC du Bord des Eaux notamment).

Cette densité d’exploitations agricoles sur le territoire d’Hénin-Beaumont et des communes limitrophes, avec parfois une ferme tous les un ou deux kilomètres, laisse entrevoir une gestion rigoureuse de l’espace agricole. Une hiérarchie existe peut-être entre tous ces établissements mais l’archéologie a malheureusement ses limites. Le foisonnement d’opérations archéologiques sur le secteur d’Hénin-Beaumont / Dourges ces 30 dernières années, et encore actuellement, a considérablement renouvelé la connaissance de ce secteur au second âge du Fer et à la période gallo-romaine. A l’instar de ce qui a pu être fait récemment dans la Plaine de France par Pierre Ouzoulias, dans l’Est de la Gaule ou encore dans l’arrière-pays du limes rhénan, une approche synthétique de l’occupation du territoire et des exploitations agricoles en territoire atrébate entre Deûle et Scarpe reste à faire.

Ce travail de recherche serait un point d’orgue pour les données accumulées par l’archéologie préventive ; il complèterait également utilement le programme Rurland en cours sur l’occupation et l’évolution du territoire rural dans le nord-est de la Gaule de la fin de La Tène à l’Antiquité tardive.

Référence du rapport

MERKENBREACK (V.) (dir.), AFONSO-LOPES (E.), LEROY-LANGELIN (E.), CHOMBART (J.), DALMAU (L.), MEURISSE-FORT (M.), DELOBEL (D.),

Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). CDIS parcelle ZR26 - "Les Seize", Rue du Dr Laennec,

Rapport final d’opération de fouilles, édition Direction de l’Archéologie du Pas‑de‑Calais, Dainville, 2016, 642 pages, 316 figures.