Propriétaire des deux tours de l’abbaye du Mont Saint-Éloi depuis le janvier 2008, le Conseil général du Pas-de-Calais projette la restauration et la valorisation du site. Dans ce but, une équipe d’archéologues du Centre départemental d’Archéologie est intervenue d’août à septembre 2010 pour fouiller le chœur et la nef des collégiales gothique et moderne.
Connue en partie par des sources manuscrites et des plans anciens, l’histoire de ce site sera enrichie grâce aux vestiges mis au jour par l’archéologie, à l’occasion des fouilles.
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L’histoire de l’abbaye, de ses origines aux vestiges actuels, à travers les archives manuscrites
Les sources écrites, nombreuses et variées pour le Moyen-âge et les périodes modernes, ont longtemps constitué l’objet d’étude principal de l’historien. Pour le Mont Saint-Éloi, le dépouillement de plans anciens, chroniques d’abbés ou documents révolutionnaires, permet de retracer les grandes lignes de son histoire
Le premier établissement religieux date vraisemblablement du 7e siècle : selon la légende, Saint-Éloi, évêque de Tournai et Noyon venait prier sur le Mont et y aurait fondé un ermitage. Son successeur, Saint-Vindicien, s'y fait enterrer et ses reliques sont découvertes en 929 : c'est alors qu'est fondée une collégiale romane. L'évêque de Cambrai Fulbert place des clercs séculiers pour veilller aux reliques. Au 13e siècle, un édifice de style gothique est construit et occupé par une communauté de chanoines réguliers, soumis à la règle de Saint-Augustin.
Cet ensemble est détruit au début du 18e siècle afin d’édifier une abbatiale de style classique, inspirée des modèles antiques, plus en vogue à l’époque.
À la Révolution, la fermeture de l’abbaye est imposée et l’édifice progressivement démantelé.
Les tours du Mont Saint-Éloi sont donc les derniers vestiges de l’abbatiale du 18e siècle.
Les relevés et dessins effectués vers 1830 par l’architecte Xavier Souillart restituent le plan et les élévations de cet ensemble monastique.
Le tableau de Xavier Dourlens-Aubron (vers la première moitié du 19e siècle) donne un aperçu de l’abbaye après sa vente comme bien national et suite à son démantèlement progressif.
En 1836 pour éviter la destruction des derniers vestiges, l’État et le Département rachètent les deux tours de la façade occidentale.
Lors de la Première Guerre Mondiale les tours servent de point d’observation et sont les cibles des tirs de l’artillerie allemande. En 1921, les tours de l’abbaye sont classées Monument Historique et deviennent propriété du Département en 2008.
Des archives manuscrites aux archives du sol
L’archéologue et l’historien ont pour finalité commune de reconstituer le passé de l’humanité, ce qui exige une complémentarité et une interaction forte entre leurs disciplines.
Avant la fouille, les archives manuscrites fournissent à l’archéologue un outil précieux pour orienter ses recherches, définir les stratégies, les méthodes et les problématiques adéquates et limiter le risque de passer à côté d’informations sur le terrain. Pour le Mont Saint-Éloi, les sources manuscrites renseignent pas ou peu sur l’évolution du plan de l’abbatiale.
Le plan terrier de 1743 présente le village, l’abbaye gothique et une partie des bâtiments conventuels liés à l’abbaye du 18e siècle (en reconstruction dès 1727).
La fouille archéologique apportera des réponses sur :
- la nature des premiers établissements religieux (ermitage, église romane)
- la localisation de l’ abbatiale gothique par rapport à l’abbatiale classique
Ainsi, elle confirmera ou corrigera la précision de sources iconographiques anciennes parfois plus artistiques que scientifiques.
L’éclairage inédit donné par l’archéologie à l’histoire de l’abbaye
Les découvertes archéologiques éclairent à elles seules des aspects inédits de l’histoire de l’abbaye :
- les techniques de construction par l’analyse du bâti, des mortiers,
- les pratiques funéraires par la fouille d’inhumations,
- la vie quotidienne des chanoines par l’étude de la céramique, des objets métalliques
Les archéologues ont dégagé les fondations d’une des chapelles rayonnantes du 18e siècle.
Les éléments sculptés, comme cet angelot découvert par les archéologues, apportent des précisions sur le décor de l’ abbatiale.
Des tombes d’anciens chanoines ou de villageois ont été découvertes par les archéologues dans les ruines de l’ abbatiale du 18ième siècle, après sa démolition à la Révolution.
Enfin, l’étude des périodes "contemporaines" constitue un nouveau champ d’investigation pour l’archéologie. Au Mont Saint-Éloi, les vestiges éventuels de la première guerre mondiale sont fouillés et étudiés avec la même attention que les vestiges médiévaux.
Cet épisode tragique dans l’histoire du Mont Saint-Éloi, au même titre que les riches heures de l’abbaye, appartient au patrimoine régional. L’archéologie doit contribuer à transmettre cet héritage historique et symbolique aux générations futures.
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En 2008 lorsque les tours du Mont Saint-Éloi ont été transférées de l'Etat au Département du Pas-de-Calais, celui ci s'est engagé à assurer la conservation et la mise en valeur du site. Deux ans plus tard, le Service Départemental d’Archéologie s’est vu confier cette mission de valorisation par la mise en place d’un programme de fouille archéologique réparti sur trois ans ; une meilleure connaissance du site favorisera sa réappropriation par les habitants du Pas-de-Calais.
Septembre 2010 : une équipe d’une douzaine d’archéologues procède au diagnostic du site. Après le passage des pelleteuses qui ont ouvert la zone sur 1 240 m2, c’est maintenant armés de pelles et de truelles que les archéologues remontent dans le temps.
L’abbaye s’est progressivement enrichie durant toute la période médiévale jusqu’en 1750, où il a été décidé de reconstruire entièrement l’abbaye et les bâtiments conventuels dont il reste quelques éléments, dont les deux tours de l’abbaye du Mont Saint-Éloi, préservées de la démolition après la période révolutionnaire.
Devenue bien nationale, vendue à un particulier, l’abbaye a servi, après la Révolution, de carrière pour construire les maisons des villages alentour. Les pierres de l’abbaye se retrouvent même dans certains édifices d’Arras. Pendant la Grande Guerre, les deux tours, dernier vestige encore debout, constituaient un observatoire privilégié par les alliés, et par conséquent la cible des bombardements allemands. 13 siècles d’occupations et de destructions successives ont tracé le sol du Mont Saint-Éloi, et il est difficile pour un œil non exercé de distinguer un mur de remblais d’une tranchée de récupération, témoin de la présence d’un mur dont les pierres ont été pillées.
Après trois semaines de fouille, Jean-Michel Willot et son équipe confirment l’inexactitude des sources documentaires en sortant du sol deux chapelles axiales.
Je me trouve actuellement sur les fondations de ces chapelles rayonnantes ; sous me pieds se situent les blocs de fondation. On devine parfaitement un plan en "fer à cheval". On peut suivre clairement la maçonnerie qui tourne juste devant moi, qui passe hors des limites de la fouille mais dont on possède, juste à l’arrière, le retour. Attenante à la chapelle, qui est désormais complètement dégagée, une autre chapelle rayonnante est en cours de dégagement. Celle-ci est importante puisqu’il s’agit d’une chapelle axiale (dans l’axe du chœur), de taille un peu supérieure à ses voisines. À l’arrière du chœur de l’abbaye moderne et des chapelles rayonnantes, nous sommes descendus un peu plus bas pour travailler sur les vestiges antérieurs à la construction de l’église abbatiale de 1750. Nous avons ainsi trouvé certains éléments qui pourraient être liés aux bâtiments conventuels de l’église abbatiale gothique (gothique et juste postérieure). Même si le plan n’est pas encore très visible, je me trouve actuellement à l’intérieur d’une pièce, le sous-sol d’un bâtiment plus précisément, avec dans le fond l’aménagement d’une rigole, avec des aménagements tels qu’un pavage. Nous sommes également en train de découvrir, à l’opposé, des aménagements liés à cette rigole. Ce pavage en briques pourrait être bien antérieur à la construction des chapelles de l’abbaye moderne ; ils s’en sont servis pour la construire, mais ces pavages ont été mis en place bien avant. Il s’agit peut-être d’un fond de bassin qui collectait les eaux pluviales : il reste à établir les liens entre cette rigole et ce fond de bassin, et le pavage avec la construction des chapelles rayonnantes modernes.
Les archéologues ont retrouvé dans cet espace des déchets abandonnés par un verrier. Deux datations pour ces débris, une correspondant à la construction de l’abbaye moderne et une autre d’une époque bien antérieure. L’artisan a donc utilisé des matériaux contemporains mais a également réutilisé ce qu’il a trouvé sur place. Si l’histoire ne nous dit pas s’il a facturé la totalité des matériaux, cette découverte nous en apprend beaucoup sur la technique des verriers pendant ces deux périodes.
Une quinzaine de sépultures a été retrouvée aux pieds des deux tours. Il s’agit essentiellement de villageois et peut-être de chanoines. Utilisées tout au long du 19ième siècle, les sépultures se superposent, et par manque d’espace et en l’absence de pierre tombale, certains squelettes ont été poussés par les fossoyeurs. Place aux jeunes en quelque sorte. C’était une pratique mortuaire courante au 19ième siècle.
Sur ces squelettes nous essayons de déterminer principalement l’âge et le sexe de l’individu, ainsi que les pathologies dont il a du souffrir de son vivant. Toute pathologie, qu’elle soit traumatique ou qu’il s’agisse d’une maladie, va laisser une trace sur l’os, ou alors s’il s’agissait d’un ouvrier, nous verrons sur ses os des marqueurs d’activité.
Cette semaine, les archéologues du Département se sont penchés sur le système d’écoulement et de captation des eaux.
Ces eaux de collecte, même si elles étaient impropres à la consommation, venaient en complément des eaux fournies par les deux grands puits de l’abbaye. Ces puits figurent sur des plans anciens, mais il faudra patienter jusqu’à la prochaine campagne de fouille pour en trouver la trace.
Réalisation : Direction de la Communication (Vadim Gressier)