La Direction de l’archéologie du Pas-de-Calais a procédé, sous la responsabilité d’Hélène Agostini, à une fouille de la place d’Armes à Ardres sur une surface de 416 m². Le projet d’aménagement à l’origine de cette opération consistait principalement dans le remplacement du pavage de la place, ces travaux impactant directement ou indirectement les 70 premiers centimètres du sous-sol. La prescription fut donc adaptée en préconisant une fouille des niveaux stratigraphiques supérieurs sur une profondeur d’environ 70 cm par rapport au niveau de circulation actuel. Cette limitation, cause de la fouille très partielle de certaines structures profondes, ne fut pas un obstacle pour saisir l’entièreté de la séquence stratigraphique d’une occupation dense, protéiforme et continue du 10ième siècle jusqu’à l’époque contemporaine.
La première occupation de ce site situé quasiment au sommet d’une butte tertiaire, en bordure interne de la plaine maritime flamande, est datée, grâce au mobilier céramique, des 10ième-11ième siècles. Elle est d’ordre domestique et s’organise autour d’un parcellaire défini par un réseau fossoyé qui semble abriter un grand bâtiment sur poteau et des structures annexes de type greniers et fosses détritiques. Ce schéma d’occupation, récurrent dans la région côtière à cette période, précède la fondation d’un véritable bourg déterminée par l’installation du seigneur Arnoul Premier dans le dernier tiers du 11ième siècle. D’un point de vue archéologique, cet acte de fondation se traduit par un remaniement complet de l’espace qui se trouve alors divisé entre l’enclos canonial de la collégiale Saint-Nicolas, matérialisé par un large fossé interrompu, et la zone du marché nouvellement établi. Cette activité commerciale n’a laissé comme traces matérielles que des rejets de faune et en particulier de poisson dans le fossé d’enclos. Vers le début du 13ième siècle, le secteur est à nouveau fortement remanié. La partition entre espace religieux et civil est abandonnée au seul profit des laïcs. Le comblement du fossé d’enclos canonial, la mise en place d’un niveau général de place et la construction de bâtiments sur cave caractérisent cette récupération complète de l’espace maintenant essentiellement dévolu aux activités commerciales.
À partir du 14ième siècle, différents épisodes d’incendie ponctuent le dégagement et l’élargissement progressif du périmètre de la place qui présente dès le 16ième siècle, au regard de l’iconographie ancienne, la physionomie et les contours actuels. Les 17ième siècle et 18ième siècle sont marqués par la mainmise croissante du pouvoir militaire sur la ville, qui acquière le statut de place militaire d’importance au nord du royaume. La place du marché, devenue place d’Armes, n’échappe pas à cette évolution qui se traduit par une libération progressive et complète de l’espace facilitant ainsi le regroupement des troupes. Seul un corps de garde occupe le sud de la place entre le milieu du 18ième siècle et le premier tiers du 19ième siècle. C’est l’ordonnance du 6 décembre 1842 qui, déclassant Ardres des places militaires, restitue définitivement la place d’Armes à l’espace civil.
La fouille de ce secteur de la place a donc mis en évidence de profondes mutations dans les modalités d’occupation de cet espace à travers les siècles. Ces résultats, par leur caractère inédit lié à la fois à l’amplitude chronologique de l’occupation et à sa diversité dans le temps, viennent nourrir ce domaine d’étude développé dans l’axe 9 de la programmation nationale de la recherche archéologique. Ils alimentent des questionnements sur l’implantation et la fabrique de la ville, les composantes urbaines, le statut des espaces mais aussi les notions d’échanges et d’attractivité des centres urbains médiévaux et modernes.
Référence du rapport
AGOSTINI H. (Directrice), DEWITTE O., MEURISSE-FORT M.,
Ardres (Pas-de-Calais), Place d’Armes, rapport final d’opération de fouilles, édition Direction de l’Archéologie du Pas‑de‑Calais, Dainville,2020, 149 p., 68 fig.