La boutonnière du boulonnais, où s’inscrit le site néolithique de Marquise, est parcourue par un ensemble de vallons et de vallées se terminant sur le littoral par de profonds estuaires colmatés. L’embouchure de la Slack est située à moins de 10 km à l’ouest de l’emprise de la fouille.
Les vestiges néolithiques s’installent au droit d’un ancien vallon sec, aujourd’hui très peu marqué dans le paysage. Il se présente sous la forme d’une vaste dépression au parcours légèrement sinueux traversant la moitié ouest de l’emprise du nord au sud. Ainsi, le décapage s’est posé sur les strates de colmatage définitif du vallon, caractérisant également le niveau d’ouverture d’une partie des creusements identifiés sur le site. Sur les versants, l’encaissant des structures archéologiques et autres dépressions naturelles correspond à une unité limono-argileuse marron soutenu à faciès oxydé. Plus en hauteur sur les versants, ce niveau disparaît pour laisser la place à un cailloutis de silex gélifractés usés pris dans une matrice argilo-limoneuse marron soutenu.
La profondeur conservée du vallon s’est révélée particulièrement inégale, avec la présence de dépressions entaillant le talweg sur plusieurs mètres d’épaisseur. L’ensemble de la stratigraphie du vallon a été appréhendé, depuis les formations calcaires jurassiques à près de 5 m de profondeur jusqu’à l’horizon humifère superficiel. Les niveaux les plus profonds se sont déposés en entonnoir, témoignant de très probables processus karstiques. Le mobilier lithique et céramique issu de ces strates est suffisamment conséquent pour être attribué au Néolithique Moyen II. Cette datation est renforcée par les 3 mesures radiocarbone réalisées dans le vallon, avec des résultats s’échelonnant entre -4330 et -4050 BC pour les niveaux les plus profonds et -3950 et -3750 BC pour les comblements intermédiaires. Enfin, les niveaux de colmatage supérieurs du vallon correspondent à plusieurs unités limono-argileuses massives. Elles livrent une série lithique associant grattoirs sur éclat et tranchets. Cet assemblage chrono-typologique est souvent un trait caractéristique des assemblages du Néolithique moyen (Augereau 2005), pouvant également se retrouver au Néolithique final dans le nord de la France (Martial et al. 2011).
Outre le vallon, 16 vestiges sont rattachés à la période néolithique au sens large. Ils regroupent 4 structures anthropiques et 12 dépressions indéterminées. Ces dernières présentent des formes plutôt circulaires, de tailles diverses, allant de moins de 3,5 m² à plus de 10 m², s’installant dans ou à proximité du vallon. Le profil de ces creusements présente de grandes similitudes, adoptant une morphologie en entonnoir. Si l’hypothèse d’un soutirage karstique est privilégiée, plusieurs processus périglaciaires pourraient expliquer la mise en place de ces dépressions. Il pourrait s’agir de thermokarsts résultant des dernières glaciations pleistocènes. Les plus petites dépressions caractériseraient ainsi des coins de glaces et les plus grandes résulteraient de phénomènes analogues de plus grande ampleur (hydrolaccolithes). Normalement comblés et fossilisés au Tardiglaciaire, les thermokarts retravaillant à l’Holocène reviennent finalement à des karts sous couverture, soit des dolines où le karst soutire les formations superficielles. Un karst ancien, et donc plus actif, lié au substrat calcaire, aurait également pu se retrouver évidé et se remettre en fonctionnement en soutirant, cette fois, la couverture de fond de talweg. Lors de prochaines opérations, la réalisation de nouveaux sondages jusqu’au substratum, éventuellement associés à des profils électriques (SISCAL ou Géoradar), permettraient d’affiner les hypothèses concernant la karstification observée, ainsi que d’envisager une cartographie du réseau de failles et de fractures présent dans le sous-sol de Marquise.
La situation de ces dépressions en fond de vallon constitue alors des pièges sédimentaires favorisant leur remplissage par ruissellement. L’intérêt du site de Marquise repose sur la mise en place de ces dépôts exclusivement au Néolithique. Les remplissages charbonneux les plus profondément atteints de 2 grandes dépressions ont pu être datés au Néolithique Moyen II (-4230 / -3960 BC et -4320 / -4050 BC). Le scellement de l’une de ces dépressions est clairement attribué au Néolithique final avec 3 microdenticulés dans l’assemblage lithique associé à un fond plat en céramique épaisse et dégraissée à la chamotte, soit environ un millénaire plus tard. La dynamique de comblement de ces creux est affectée par la dissolution produite après la mise en place des couches archéologiques et caractérisée par des phénomènes d’aspiration des différentes strates vers le fond. Il reste toutefois difficile de définir si la dissolution a débuté avant la mise en place des formations superficielles et/ou des niveaux néolithiques. Des reprises dans les processus de dissolution sont également envisageables.
Il semble ainsi possible de caler chronologiquement des phénomènes de ruissellement particulièrement actifs entre le Néolithique moyen et le Néolithique final d’après le comblement des dépressions karstiques, correspondant à la transition entre l’Atlantique et le Subboréal. Les séquences polliniques de référence ont permis de définir les différentes chronozones. Ainsi, l’Atlantique est marqué par la mise en place et l’optimum de la chênaie mixte à tilleul présente de manière homogène sur l’ensemble des séquences ; à la différence du Subborréal où cet enregistrement apparaît plus hétérogène (Boulen 2011). Deux hypothèses principales concourent à justifier son absence : les péjorations climatiques ou les défrichements néolithiques, les deux phénomènes ayant pour résultat l’érosion des versants.
Il paraît difficile d’envisager à Marquise la présence de forêts dans ce secteur battu par les vents. La corrélation des informations géologiques (plateaux calcaires, faible couverture sédimentaire) et des études paléoenvironnementales menées sur des sites proches, notamment à Escalles (Boulen et Salavert in Praud, Panloups et al. 2014) nous conduisent à envisager un milieu ouvert, de type prairie calcaire, éventuellement pâturée.
à Houplin-Ancoisne, Le Marais de Santes, dans la vallée de la Deûle, la confrontation des études paléoenvironnementales (palynologie, anthracologie, carpologie), couplée à une analyse entomologique montre qu’au Néolithique final, l’humidité ambiante est élevée, mais les hivers peu rigoureux (Boulen 2011). M. Boulen avance l’hypothèse du rôle modérateur de l’influence maritime dans la stabilité de la composition environnementale entre l’Atlantique et le Subboréal dans les vallées du nord de la France.
Ces observations réalisées en fond de vallées mériteraient d’être étayées par des analyses palynologiques en contexte côtier ciblées sur des horizons propices à la conservation du matériel sporo-pollinique et datés de la transition Atlantique / Subboréal. Cette acquisition de données n’est évidemment pas envisageable sur la boutonnière en elle-même, mais plutôt sur les plaines maritimes adjacentes (flamande et sud boulonnais). Le projet collectif de recherches ArchGéol, s’intéressant à l’archéologie environnementale des systèmes littoraux et fluviaux de la Mer du Nord et de la Manche, pourrait éventuellement constituer le cadre de ces travaux (Meurisse-Fort et al. 2018). à l’heure actuelle, une péjoration climatique globale reste l’hypothèse privilégiée pour expliquer les phénomènes de ruissellement observés à Marquise au cours du Néolithique moyen et récent. La réalisation de prélèvements sédimentaires dans les strates néolithiques les plus charbonneuses n’a pas été suivie d’une analyse anthracologique au vu de l’absence d’occupation néolithique en place. Celle-ci pourrait toutefois nous permettre d’affiner nos connaissances sur le paysage environnant et sur l’exploitation du milieu naturel.
Les indices d’une présence humaine au Néolithique dans le secteur de Marquise est récurrente mais aucune occupation véritablement structurée n’a pu être mise au jour. à moins de 200 m au nord de la fouille, sur la commune de Leulinghen-Bernes, une fosse a livré un rejet complet d’une séance de débitage de quelques galets de silex rapportés du littoral testés sur le lieu d’acquisition (Leroy-Langelin et al. à paraître). Toutes les étapes de la chaîne opératoire sont présentes, notamment les esquilles, signalant un débitage effectué sur place ou à proximité directe. Les quelques outils présents sont une armature de flèche non utilisée (rejet de production ?) et 6 grattoirs, dont 4 montrent des traces d’usure. Le mobilier lithique, associé à une datation radiocarbone sur charbon de bois (4320-4050 BC), est attribué au Néolithique Moyen II. Ce rejet de débitage pourrait ainsi indiquer une présence humaine ponctuelle au Néolithique moyen. Toutefois, la présence de ces grattoirs utilisés pourrait signaler un habitat ou une zone d’activité spécialisée située à proximité. Avec la présente fouille, il s’agit des seuls indices datés au Néolithique moyen dans le secteur de Marquise.
Pour le Néolithique final, notre fouille confirme le scellement des dépressions karstiques à la fin de cette période. à proximité, les connaissances se limitent principalement à des découvertes isolées en contexte de diagnostic (Barbet 2005 ; Barbet et al. 2007 ; Merkenbreack et al. 2014 ; Maniez et al. 2016). Les fouilles réalisées à Marquise sur des occupations gallo-romaines livrent parfois du mobilier ou quelques structures, mais aucune réelle occupation de la fin du Néolithique n’est actuellement connue (Maniez 2012a ; Maniez 2012b).
Les dynamiques d’implantation des groupes humains au Néolithique et de leur évolution au cours de la période dans le secteur de Marquise demeurent ainsi particulièrement méconnues et montrent un intérêt certain, tant dans les problématiques archéologiques qu’environnementales.
Référence du rapport
Panloups et al. 2019 : Panloups É., Charraud F., Meurisse-Fort M., Wilket L.,
Marquise (Pas-de-Calais), « Parc d’Activités des 2 Caps »,
Rapport final d’opération de fouille préventive, Dainville : Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais, 167 pages, 80 figures.