La campagne de fouille de 2014 qui fait suite à une triennale (2011-2013) a porté principalement sur le chœur de la collégiale gothique et la crypte. La fouille s’est déroulée du 18 août au 19 septembre avec cinq agents du Centre départemental d’Archéologie du Pas-de-Calais et sept stagiaires universitaires. Des subventions octroyées par le Service Régional de l’Archéologie ont couvert une partie des dépenses, notamment les analyses.
Les vestiges d’un édifice religieux roman
La campagne de 2014 a pu aider à affiner les connaissances des constructions antérieures à l’église gothique, notamment la chapelle romane. L’édifice est probablement de plan rectangulaire, de 11 mètres de large et de 11,50 mètres de long a minima, et d’une élévation assez importante. Des traces des supports du voûtement repérés dans les murs ont permis de restituer la configuration de l’espace intérieur constitué de deux rangées de colonnes formant un vaisseau central et deux collatéraux de trois travées au minimum. L’édifice a été construit dans la pente du relief : alors qu’au sud, ses murs étaient en grande partie hors sol, au nord, ces derniers étaient installés dans la pente de colline, sans doute taillée pour l’occasion. L’emplacement du sol primitif, qui a été identifié dans les maçonneries, se situe, au nord, à près de 2,50 mètres sous les niveaux de circulation extérieurs, mais quasiment de plain-pied au sud. L’unique accès attesté, côté nord-ouest, est d’ailleurs une descenderie.
Sous le sol de l’édifice, l’excavation profonde de plus de 3,50 mètres et de huit mètres à dix mètres de côtés, à l’origine maçonnée correspond à l’emplacement de la crypte proprement dite. Elle apparaît dans les chroniques modernes lors de la description de l’église gothique comme une église basse soutenue de deux rangs de colonnes bleues. Ces mentions sont en adéquation avec les données archéologiques. Les supports du voûtement de celle-ci devaient être identiques à ceux du niveau supérieur de l’édifice : une double rangée de piliers formant un vaisseau central et deux collatéraux. L’interprétation proposée en 2013 concernant la fonction du bâtiment n’est pas remise en question : il s’agit d’un édifice religieux avec une crypte. La campagne de 2014 n’a néanmoins pas pu apporter d’éléments supplémentaires pour affiner sa datation qui repose principalement sur des critères architecturaux caractéristiques du roman, un voûtement et arcs-doubleaux reposant sur des dosserets. Les mentions du 17ème siècle font références à l’érection d’une chapelle pour accueillir les restes de Saint-Vindicien par l’Evêque Fulbert vers 980. Il n’est pas fait état de transformation de cet édifice avant le début du 13ème siècle et la construction de l’abbatiale gothique.
L’église gothique
Les données archéologiques de la campagne de 2014 ont porté principalement sur le chœur de l’abbatiale gothique et son environnement proche. Elles permettent de comprendre son plan, les techniques de construction et d’expliquer les choix architecturaux.
Les techniques de fondations
Le nouvel édifice gothique intègre la crypte et une partie de la chapelle romane qui occupent l’espace situé entre le chœur et le transept, selon un schéma classique pour la période. L’ancien chœur est détruit ainsi qu’une grande partie des élévations romanes à l’exception des murs nord qui ont été écrêtés. La configuration de la chapelle romane avec son sol situé à 2,50 mètres en dessous des niveaux extérieurs de circulation et sa crypte, a un impact sur le plan du nouvel édifice. Le sol d’origine est bien modifié mais pas rehaussé : la différence de hauteur entre les niveaux de circulation du chœur et du transept reste marquée, près de trois mètres. La topographie du terrain a nécessité une mise en œuvre adaptée des fondations du chœur. En effet, construit dans la pente de la colline, l’installation de semelles a permis de rattraper progressivement un niveau d’arase plan pour la fondation. Des remblais ont également été apportés conjointement afin de rehausser le terrain et constituer une terrasse. Les murs porteurs de la moitié nord-est du chœur ont été déportés d’un mètre vers l’est, en retrait des anciennes maçonneries qui ne supportaient plus d’élévations.
Le chœur gothique
Le nouveau chœur qui forme un unique vaisseau long de 24 mètres et large de neuf mètres à dix mètres, se termine sur un chevet en abside. Son accès s’opère du transept. Dès l’origine probablement, la descente s’accomplit de deux côtés par des escaliers, calés dans les angles des maçonneries romanes. Cette différence de niveau de circulation relativement importante entre le chœur et le transept devait accentuer la démarcation entre les deux parties de l’édifice, en valorisant le chœur. Il occupe plus de la moitié de la longueur de l’abbatiale estimée à une quarantaine de mètres. Pour une communauté de chanoines réguliers, accorder une telle importance à leur espace de prière se comprend, mais les restitutions des élévations envisagées à partir des résultats de cette campagne révèlent une distinction entre cet espace et le reste de l’édifice qui est renforcée par ces choix architecturaux. L’obligation d’accueillir des paroissiens pour les offices religieux dans le sanctuaire a pu conduire les chanoines à compartimenter les deux espaces. La paroisse, relativement étendue, est dotée d’une église que très tardivement au 15ème siècle alors que la communauté assurait la cura animarum depuis le 12ème siècle.
La chapelle
Une des chapelles du chœur a été totalement dégagée cette année. La mise au jour de son sol en terre cuite demeure la découverte marquante de cette opération. Ce pavage, sans doute posé dès la fin de travaux de l’abbatiale vers la seconde moitié du 13ème siècle, est resté en place sur une longue durée et a été l’objet de quelques réfections localisées. Il est constitué de carreaux de terre cuite glaçurée monochrome, vert et jaune de 1,5 centimètres à trois centimètres d’épaisseur. Trente-cinq panneaux aux décors géométriques ont été répertoriés sur l’ensemble de ce sol d’une surface d’environ 40 m2. Quatre formats de carreaux sont employés pour ce pavage : le carré, le triangle, le rectangle et le losange aigu. Le pavage matérialise par son décor les différences espaces de la pièce selon leur fonction : l’accès, l’espace de prière et l’autel. Ce dernier est signalé par une banquette légèrement surélevée située au sud-est. Un simple examen du pavage a livré des informations sur la déambulation et les stations dans la pièce. Il est d’ailleurs intéressant qu’aucune tombe n’y soit matérialisée. Les chapelles de la collégiale, au nombre de quatre sont mal documentées. La lecture des chroniques permet d’identifier deux chapelles qui sont des lieux d’inhumations des abbés, la chapelle Saint-Jean ou des Confesseurs et la chapelle des Abbés ou Sainte-Catherine, localisée à l’entrée du chœur. Des abbés sont également inhumés dans le transept ou en bas du dortoir au côté d’une des chapelles nord-est. La chapelle mise au jour n’est donc aucune de celles mentionnées. Il se pose la question, compte-tenu de sa localisation et de l’absence de tombe, de la nature de sa dédicace, sans doute un saint ou une personne importante pour la communauté (Saint-Vindicien ?).
La crypte
La crypte romane a influé sur les partis pris architecturaux lors de la construction par-dessus du chœur gothique. Ils concernent notamment le choix d’un demi-sous-sol pour le chœur gothique qui reprend celui d’origine en le modifiant. En décalant les nouvelles fondations du chœur, les constructeurs préservaient la crypte, même si le rez-de-chaussée de l’édifice roman a été modifié (sol et élévations). Son accès pour la période gothique n’a pas pu être déterminé car le sol du chœur a disparu avec la destruction du voûtement de la crypte à l’époque moderne. Avec l’agrandissement du gothique, les accès primitifs ont peut-être été modifiés et peuvent se localiser plus à l’est où il encore possible de les repérer sous les remblais.
Le plan de l’église, état des connaissances après la fouille
Les historiens avaient souligné la difficulté de restituer un plan de l’église gothique sur la base de la documentation iconographique et écrite à disposition. Le plan terrier de 1743, qui livre pourtant le plus de renseignements sur l’abbatiale, est source de questionnements auxquels les données archéologiques n’apportent pas forcément d’éléments de réponses.
D’ouest en est, l’église présente trois niveaux de circulation qui commence de plain-pied dans la nef et le transept, avant de descendre d’un demi-niveau dans le chœur d’où on accède à la crypte en sous-sol. Cette différence de niveau entre le chœur et le reste de l’édifice n’est jamais mentionnée dans les écrits et n’apparait pas sur le plan terrier de 1743. La chapelle nord-est mise au jour est l’une des quatre chapelles de l’abbatiale gothique mentionnées dans les chroniques. Les données archéologiques ont établi que la chapelle nord-est n’est pas un héritage roman. Avec un niveau de circulation plus bas que le transept et la nef, la chapelle nord-est, et certainement celle située au sud-ouest, toutes deux accolées au vaisseau du chœur, sont peut-être isolées de celles situées à l’extrémité des deux bras du transept. Le reste de l’édifice a été détruit très en profondeur à l’époque contemporaine, à l’exception éventuellement du mur pignon du bras nord du transept. Il sera difficile de renouveler la réflexion sur cette partie de l’abbatiale à partir des données archéologiques. Néanmoins, la vision qu’offrent les résultats de fouille de 2014 de l’édifice modifie sensiblement la restitution proposée par les historiens. Les chapelles adossées au chœur occupent un espace équivalent d’une travée. Les chapelles localisées à l’extrémité des bras du transept seraient alors constituées de deux travées et formeraient le bas-côté de ces derniers.
Les transformations à l’époque moderne
La grande campagne de travaux lancée au début du 18ème siècle concerne dans un premier temps les bâtiments conventuels. L’église gothique est néanmoins partiellement restaurée, même transformée, à la suite d’une tempête particulièrement destructrice. Il est probable que les niveaux de circulation aient été modifiés avec un remblaiement du chœur et des chapelles attenantes pour rattraper un niveau général de circulation de plain-pied. La crypte demeure néanmoins en usage jusqu’à la démolition de l’église gothique en 1750. Une partie des murs est abattue et reconstruite sur des fondations plus larges. Enfin, une canalisation qui récupère les eaux pluviales dans l’angle des maçonneries du chœur et de la chapelle nord-est, est installée dans la cour qui est fermée à cette époque par un bâtiment conventuel du grand cloître.
Ses installations et ses transformations ne dureront qu’un temps limité : en 1750 l’abbatiale gothique est détruite et le secteur devient une cour localisée entre le chœur du nouveau sanctuaire moderne et les bâtiments conventuels.
Référence du rapport
Willot et al 2014 : WILLOT J.-M. (dir.), DALMAU L., AGOSTINI H., DELOBEL D., avec la collaboration de Louiso I.
Mont-Saint-Eloi, Abbaye du Mont-Saint-Eloi,
Rapport final de fouilles, Dainville : Centre départemental d’archéologie du Pas de Calais, 199 pages, 134 figures.