Des murs de bâtiments annexes, des puits et des celliers à l’arrière de plusieurs propriétés mitoyennes de l’époque moderne, ont été mis au jour, rue des Procureurs à Saint-Pol-Sur-Ternoise, entre mai et août 2022. Car la plupart des documents d’archive ont été détruits lors des sièges de la ville et cette fouille est importante pour recueillir des nouvelles données sur la vie quotidienne des Saint-Polois. Cette opération s’intercale entre la phase de la destruction d’anciens bâtiments et la construction de l’extension de la Maison du Département Solidarité du Ternois.
Contexte historique de la ville de Saint-Pol du Moyen Âge à l’époque moderne
Au haut Moyen Âge, Saint-Pol-sur-Ternoise, orthographiée Saint-Paul et par la suite Saint-Pol, fait partie du pagus de Thérouanne. Au 11ième siècle, le territoire subit un bouleversement notable puisqu’un château est attesté dans le comté de Saint-Paul par la présence du seigneur Roger en 1031.
En 1202, peu de temps avant son départ pour la « Quatrième Croisade », le comte Hugues 4 érige Saint-Pol et Lucheux en commune en 1202, c’est-à-dire qu’elles sont placées sous l'administration des habitants. Après la chute de la ville aux mains de l’empereur, en 1546, ces privilèges sont confirmés par lettres patentes, un acte législatif émis par Charles Quint. Alors que Thérouanne et Hesdin sont plusieurs fois attaquées et dévastées, Saint-Pol est relativement épargnée malgré d’importantes destructions lors du siège 1537 par l’armée impériale.
En 1559, la ville renaît grâce à l’implantation d’une industrie textile (draps, lingerie et feutre).
À la Révolution française, les édifices religieux sont détruits à l’exception de la chapelle des Carmes qui devient le siège de la Société Populaire et de la chapelle des Sœurs Noires est transformée en prison. En 1790, la ville n’a plus ses remparts et s’étend, elle devient le siège de la sous-préfecture et accueille un tribunal.
La reconstitution du plan de Saint-Pol au Moyen Âge et à l’époque moderne
L’organisation de la ville est marquée par l’emplacement du château au nord-est. Ce centre de pouvoir comtal présente deux états distincts dont la toponymie actuelle en témoigne encore : Vieux-Château et Château-Neuf. Un premier château a été bâti par le comte Roger au 11ième siècle. Le relief escarpé, le cours d’eau (la Ternoise) au pied d’un éperon rocheux et d’une vue panoramique permet une défense passive et un lieu d’observation idéal. Le Vieux-Château est détruit vers 1120 par Charles le Bon dans le contexte des tensions entre le comte de Saint-Pol et le comte de Flandres, son suzerain. Le comte Saint-Polois Hugues 3 fait construire un nouveau château, qu’il déplace vers le sud-ouest, se rapprochant du centre.
Des fortifications
Le centre-ville et le château sont enserrés dans une muraille dont la première attestation provenant d’une charte remonte à 1244, dans laquelle le comte Hugues 5 octroie au maire et aux échevins le droit de réparer les « fortereches du fossé qui [est] sis dehors les murs de la ville de Sainct Pol devant dite, entre le porte de le Coutiur et le porte de le rue de Villoing ». Un fossé, dont la largeur varie entre 8 et 30 m, est alimenté par un bras de la Ternoise qui traverse la ville du sud-est vers le nord-ouest. Une fouille de sauvetage, réalisée en 1998 par l’archéologue Jean-Claude Routier a révélé la présence d’un tronçon du mur de rempart à l’arrière de la rue des Procureurs et de la place Louis Lebel. Il a été daté du 16ième siècle et semble arasé et comblé au début du 18ième siècle.
Rue des procureurs, un axe principal
L’axe principal de la ville s’étire entre les portes d’Arras et d’Aire. Il comprend les actuelles rue d’Arras et rue des Procureurs. L’arrivée du chemin de fer à la fin du 19ième siècle bouleverse l’urbanisme. Ainsi, les autres rues sont généralement élargies et la rue des Procureurs devient progressivement un axe secondaire de circulation.
La présence religieuse à Saint-Pol
La présence religieuse à Saint-Pol-sur-Ternoise est importante. Pour l’époque moderne, on recense plusieurs édifices : une collégiale, une église paroissiale, deux chapelles de sœurs franciscaines, une chapelle de Carmes, une chapelle pour chaque faubourg, une chapelle dans le cimetière et une chapelle associée à l’hôpital.
Les Sœurs grises
Deux couvents de franciscaines ont cohabité à Saint-Pol-sur-Ternoise. Les Sœurs Grises sont la plus ancienne communauté installée au 13ième siècle, la date précise de leur arrivée dans la ville n’est pas déterminée. Leur couvent et chapelle se trouvaient proche de l’église Saint-Paul, donnant sur la place Lebel et au sud de la fouille. Elles suivaient avec beaucoup d’austérités la règle de saint François d’Assise et œuvraient durant de longs siècles dans l’hôpital de Saint-Pol, situé à côté de leur couvent.
L’hôpital
L’hôpital est le fruit d’une donation du comte Guy 3 de Chatillon et de son épouse Mathilde de Brabant, en 1265. D’une capacité de 60 lits, cette institution ne voit le jour qu’en 1281 avec la charte de confirmation émanant de l’évêque de Thérouanne. Les Sœurs Grises s’occupaient des soins des malades et de la pharmacie. Les guerres, les pillages et les incendies réduisent les ressources de l’hôpital, qui perd les trois quarts de ses fonds. En 1537, alors que les fortifications de la ville sont modernisées à la hâte, une partie de l’hôpital quasiment collé à la muraille a été détruite.
Des murs et des parcelles de terrain
Plan du cadastre napoléonien (côte 3 p767/4), intégrant un plan simplifié des découvertes archéologiques de 2022.
Lors de la fouille, des murs de l’époque moderne ont été mis au jour. Ce sont des murs de bâtiments annexes aux habitations ou de séparation à l’arrière de plusieurs propriétés mitoyennes. Le long de la rue des Procureurs, un axe principal, les parcelles sont organisées en lanière. Chaque propriété avait une cour ou un jardin à l’arrière de l’habitation. Les habitants avaient des revenus confortables pour y résider.
Lors de la fouille, il est complexe de déterminer l’ordre des constructions. Les chevauchements de certains murs, les réparations, les ajouts, les gravats d’anciennes constructions, le réemploi et la variété des matériaux (la brique, le calcaire, le grès et le silex) empêchent une compréhension de la chronologie des élévations. Lors de la phase de recherches, les archéologues vont utiliser la stratigraphie et l’étude de la composition des mortiers pour déterminer l’historique des aménagements.
Deux celliers de stockage
Deux celliers de stockage ont été découverts. Le cellier n°1 n'a pas révélé d'objet. Le cellier n° 2 était accessible par un escalier en pierre. Lors du terrassement, un plafond voûté en briques a pu être observé par les archéologues. Des bouteilles de vin vides y avaient été abandonnées.
La gestion de l’eau à proximité de l’habitation
Légende : Citerne de forme carrée.
Cinq puits et une citerne ont été découverts dans les espaces extérieurs des propriétés. À l’instar de l’eau courante que nous avons au robinet, cela apportait un réel confort pour la vie quotidienne. À ce stade des recherches, il est compliqué de déterminer si les puits ont été réalisés dans la même période ou s'ils se sont succédé pour se remplacer. La proximité de l’accès à l’eau a permis une culture destinée à l’alimentation, car des sédiments spécifiques ont été observées par les archéologues.
Les latrines
Un puits obturé par une voûte en briques a été réutilisé en fosse septique pour des latrines. Un espace en brique a été ajouté pour procéder facilement au curage. À côté, un conduit d’évacuation en pierre était surplombé vraisemblablement d’un banc troué ou d’une planche pour que les personnes puissent s’y installer pour faire leurs besoins. Les excréments et les urines se déversaient depuis le conduit vers le puits obturé. Il est probable que les latrines étaient dans un petit bâtiment pour protéger ses usagers des intempéries et des regards. Il n’est pas à exclure que nos ancêtres récupéraient les excréments comme engrais pour le jardin.
Des objets de l’époque moderne
Les archéologues ont mis au jour des fragments céramiques qu’il faudra analyser pour connaître leurs provenances. Deux objets métalliques dans un état remarquable de conservation ont été préservés de l’oxydation. Le premier est une boucle de ceinture et le second est un dé à coudre. Énormément d’épingles ont été retrouvées, elles étaient utilisées pour ajuster les vêtements. Plusieurs résidus de métal fondu suggèrent la présence d’un petit atelier urbain sans qu’il soit possible de définir la production. Il est rare de trouver des ateliers urbains utilisant le feu à l’époque moderne, ils sont souvent relégués à l’extérieur des villes pour éviter les incendies.