Archéologie - Pas-de-Calais le Département
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Être chanoine à l’abbaye de Mont-Saint-Éloi

Moine ou chanoine ? Qu’est-ce que le clergé régulier ? Comment fonctionne une abbaye ? Comment vivaient les religieux de Mont-Saint-Éloi au Moyen Âge ? Quelles différences entre un prieur, un prévôt ou un chantre ? Ceux qui ont visité l’exposition « Apporter sa pierre à l’édifice. Archéologie de l’abbaye de Mont-Saint-Éloi » le savent. Pour tous les autres, découvrez ici le mode de vie des chanoines de l’abbaye de Mont-Saint-Éloi.

Vue aérienne de la façade des deux tours de Mont-Saint-Éloi.

 

Les deux tours de Mont-Saint-Éloi sont les vestiges d'une abbaye habitée par une communauté de chanoines.

Derrière les ruines de l’abbaye se cache une histoire millénaire… Cette histoire, révélée par des documents d’archives et des données archéologiques issues de six campagnes de fouille, est celle d’une communauté de religieux installée à partir du 11ième siècle pour veiller sur les reliques de saint Vindicien. Qui sont-ils ? Comment vivent-ils ?

Moine ou chanoine ?

À partir du 11ième siècle, l’abbaye de Mont-Saint-Éloi accueille des chanoines réguliers. À la fin du 13ième siècle, ils sont 40. Comme les moines, ce sont des religieux qui vivent en groupe, retirés du monde. Ils suivent une règle de vie, la Règle de Saint-Augustin, qui encadre leur quotidien et qui les oblige à respecter trois principes élémentaires : la pauvreté, la chasteté et l’obéissance. Ils sont astreints à la prière, huit fois par jour.

Mais, tandis que les moines prient pour leur propre salut ou celui du bienfaiteur qui a fondé leur abbaye, les chanoines, eux, desservent une ou plusieurs églises. Leur mission principale est l’apostolat, c’est-à-dire l’évangélisation des territoires et l’animation du culte auprès des fidèles. Les chanoines sont des prêtres et ont le droit de sortir de l’abbaye pour s’occuper des croyants dans les paroisses.

Lithographie en couleur d’un chanoine en soutane.

Le chanoine du 18ième siècle est vêtu d'une soutane violette avec boutons et boutonnière rouges et d'un surplis blanc. Sur le bras gauche, il porte un manipule noir. Les vêtements varient selon l'époque, le moment de la journée et la fonction du chanoine dans la communauté.

 

Clergé régulier ou clergé séculier ?

Le clergé régulier désigne l’ensemble des religieux astreints à une règle de vie : abbés, moines, moniales, chanoines et chanoinesses réguliers.

Le clergé séculier est constitué de l’ensemble des religieux vivant « dans le siècle », c’est-à-dire auprès de la population, et n’étant pas soumis à une règle de vie : les évêques et tous leurs subordonnés, y compris les chanoines séculiers.

Les deux clergés sont sous l’autorité du Pape, chef suprême de l’Église catholique, successeur de saint Pierre. Ils sont théoriquement bien séparés mais, dans la pratique, il n’est pas rare au Moyen Âge de voir des abbés devenir évêques et inversement. La politique et l’ambition personnelle restent omniprésentes car ce sont des postes à pouvoir.

Comment fonctionne une abbaye ?

Une abbaye est comme une petite ville. Elle est conçue pour être autosuffisante. Le plan des abbayes médiévales est très normé. Celui de l’abbaye de Mont-Saint-Éloi n’y fait pas exception : il prend exemple, comme la quasi-totalité des abbayes européennes, sur celui de l’abbaye de Saint-Gall (Suisse actuelle, 7ième siècle).

  • L’église est le cœur de l’abbaye, le bâtiment central, construit avant tous les autres. Les chanoines y tiennent des offices quotidiens et les fidèles sont invités à y assister depuis la nef. Les chanoines y prient aussi huit fois par jour : Matines, Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies.
  • La salle du chapitre est le deuxième lieu le plus important dans l’abbaye. Les chanoines s’y réunissent tous les matins au lever du jour. Ils discutent des problèmes quotidiens et disciplinaires. Si un chanoine a commis une faute, l’abbé ou le prieur lui signifie une punition dans la salle du chapitre : le chanoine est alors chapitré. Chaque matin, l’abbé ou le prieur lit un chapitre de la Règle de Saint-Augustin afin que les chanoines y méditent dans la journée. Lors des élections et des prises de grandes décisions, les chanoines votent dans la salle du chapitre. Ils ont donc voix au chapitre.
  • Le cloître est un lieu de médiation et de prière. Clos, il n’est théoriquement possible de s’en échapper que par le ciel, métaphore de l’engagement à vie des chanoines de l’abbaye. Évocation terrestre du jardin d’Éden, il est particulièrement soigné et décoré par les chanoines.
  • Le chauffoir est le lieu où les chanoines écrivent et copient des livres. Comme ils sont astreints à la pauvreté monastique, les chanoines ne doivent théoriquement pas avoir de cheminée pour se chauffer. Seuls la cuisine et le chauffoir peuvent en être pourvus. La cheminée du chauffoir permet de réguler l’humidité dans la pièce afin de mieux conserver les parchemins. Elle sert aussi à empêcher l’encre de geler.
  • L’abbaye est également dotée d’une cuisine, de celliers et autres dépendances pour le stockage de la nourriture et la préparation des repas. Ceux-ci sont pris au réfectoire. Les chanoines mangent une à deux fois par jour, en silence pour écouter l’un des leurs lire des vies de saints. Ils communiquent donc par signes.
  • Enfin, les dortoirs sont collectifs pour respecter la pauvreté monastique. Les chanoines dorment sur une paillasse ou un lit avec le moins de confort possible. L’abbé a cependant un espace réservé, le quartier abbatial.

Prieur, prévôt, chantre et autres fonctions des chanoines de l’abbaye de Mont-Saint-Éloi

  • L’abbé : il est le chef spirituel (activités liées à Dieu, célestes) et temporel (activités matérielles, terrestres) de l’abbaye. C’est un chanoine élu à vie par ses pairs. Son ministère s’appelle l’abbatiat. Puisqu’il porte la mitre, il est équivalent en rang à un évêque et il prend donc ses ordres directement du pape. Malgré tout, il est sacré lors de son élection par l’évêque d’Arras. Il ne possède rien en main propre mais il détient, au nom de l’abbaye, de nombreuses terres dont sont issus d’importants revenus. Il lève l’impôt et rend la haute moyenne et basse justice sur ses terres. Les abbés de Mont-Saint-Éloi sont souvent les conseillers des comtes d’Artois (abbé Servais) et du roi de France (abbé Richard 2 conseiller de Louis 9). Ils sont donc régulièrement absents de l’abbaye et délèguent leurs pouvoirs à leurs subordonnés.
  • Le prieur : il est le second de l’abbé, et le remplace quand il est absent. Particulièrement attaché à la gestion du temporel dans l’abbaye, il prend les grandes décisions en la matière. Il est également chargé de la tenue de la discipline monastique et du respect de la Règle. Il est le supérieur de tous les autres chanoines.Par ailleurs, le prieur est chargé de l’achat et de l’entretien du matériel liturgique, particulièrement celui utilisé lors de la transsubstantiation (changement du vin en sang et du pain en corps du Christ), réalisée au cours de l’eucharistie, c’est-à-dire la célébration du sacrifice du Christ, autrement appelée la messe. Il est assisté dans cette tâche par le sacristain.
  • Le prévôt : troisième personnage de l’abbaye, il est chargé de la gestion administrative du domaine. Il rend la haute, moyenne et basse justice au nom de l’abbé. Il gère les baux à ferme, les loyers, les relations avec les serfs et est l’interlocuteur des personnes faisant des dons à l’abbaye. Sa tâche est comparable à celle d’un notaire aujourd’hui. Il est assisté d’officiers de justice.
  • Le trésorier : poste clé, le trésorier perçoit les recettes de l’abbaye auprès de ses différents obligés. Il est responsable du trésor de l’abbaye, dont la richesse est surtout constituée de titres de propriété. Une fois par an, il fait un bilan des finances de l’abbaye à l’abbé. Il se coordonne avec le dépensier, qui puise dans les ressources de l’abbaye pour payer ses dépenses. Il est assisté de percepteurs.
  • Le maître d’hôtel : il est chargé de l’alimentation de la table abbatiale et de la bonne tenue des services domestiques de l’abbaye. Il gère l’approvisionnement de l’abbaye, par exemple en graines et semences avec le grainetier, ou encore la nourriture avec le cellérier.Il est chargé d’assurer l’hospitalité monastique pour les visiteurs, notamment les plus prestigieux. Il est aussi appelé l’économe. Il compose le menu avec le cuisiner. Au quotidien, les repas sont maigres pour respecter la pauvreté monastique. La viande est proscrite en dehors de Noël et Pâques. La base de l’alimentation des chanoines est constituée de pain et de légumineuses.
  • Le chantre : il est préposé à la garde, à l’entretien et à la distribution des livres de chant et de prière. C’est un chanoine particulièrement doué pour le chant, car il est chargé d’entonner (donner le ton) les prières (chantées) pour guider ses frères. Il sait écrire, afin de recopier les livres de chant pour ses frères. Il tient le Tau, bâton en forme de T, Tau en grec, qui lui permet de l’aider à se tenir debout lors des longues cérémonies, à maintenir l’ordre pendant la messe et à corriger ceux qui chantent faux.
  • Le novice : c’est un « apprenti chanoine ». Pendant son noviciat, qui dure plusieurs mois, voire deux années au maximum, le novice est testé dans sa volonté de devenir chanoine et formé à la théologie, aux littératures et aux sciences.
  • Le profès : c’est la deuxième étape pour devenir un chanoine, entre le noviciat et le canonicat. Le profès est appelé ainsi car il a fait sa profession religieuse, c’est-à-dire qu’il a prononcé les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance pour devenir chanoine. Avant qu’il ne devienne réellement chanoine, il doit passer une année de probation.
  • Le maître des novices : chanoine chargé de faire passer diverses épreuves aux novices.
  • Le sacristain : préposé à la sacristie, près du chauffoir, où sont entreposés les objets utilisés lors des offices. Il prépare les cierges, l’eau bénite, les pains d’autels.
  • Le curé : prêtre chargé de l’animation du culte dans une paroisse. Il est appelé curé car il est « curatus animarum », c’est-à-dire « chargé des âmes » dans sa paroisse. Le curé est nommé par un évêque. Celui du Mont-Saint-Éloi pouvait donc le nommer car il avait le rang épiscopal. Le curé assure la messe, les baptêmes, les mariages et les enterrements. Certains chanoines de l’abbaye sont donc des curés.
  • Le domestique : salarié travaillant pour l’abbaye, sur le domaine, dans les champs ou au service intérieur. Il ne réside pas à l’abbaye.
  • Le convers : religieux au service temporel de l’abbaye. Il effectue un noviciat à l’issue duquel il jure obéissance à l’abbé. Il n’est pas considéré comme un chanoine mais comme un religieux faisant réellement partie de l’abbaye. Il y réside dans des bâtiments dédiés. Les convers sont le plus souvent des hommes issus de milieux humbles et n’ayant pas les connaissances (notamment celle du latin) pour devenir chanoine.

Photo d’un fragment d’une sculpture représentant le haut de la tête d’un abbé.

Cette sculpture représente la tête d'un abbé, coiffé d'une mitre bordée d'une bande d'orfrois et de motifs losangés. La mitre est habituellement portée par les évêques, mais les abbés de Mont-Saint-Éloi avaient le privilège de la porter également. Le bloc présente la trace d’un assemblage et pourrait appartenir à une statue-colonne ornant le portail de l’église gothique.

Cette sculpture représente la tête d'un abbé, coiffé d'une mitre bordée d'une bande d'orfrois et de motifs losangés. La mitre est habituellement portée par les évêques, mais les abbés de Mont-Saint-Éloi avaient le privilège de la porter également. Le bloc présente la trace d’un assemblage et pourrait appartenir à une statue-colonne ornant le portail de l’église gothique.


Aujourd’hui, à Mont-Saint-Éloi, les chanoines ne sont plus là pour vous accueillir. Mais les deux tours de façade de leur dernière église dominent toujours le paysage et vous pouvez les découvrir en vous rendant sur place.

Découvrez le parcours thématique du Mont-Saint-Eloi sur site partrimoines.pasdecalais.fr