Le Moyen-Âge est une longue période qui s’étend du Ve siècle au XVe siècle. Dans le Pas-de-Calais, ces quelques dix siècles sont jalonnés de phases de relative stabilité et de croissance, dues aux innovations techniques et à l'artisanat florissant, alternant avec des périodes de crises politique et économique.
Un Empire dilué dans la germanité (Ve-IXe siècle)
Plus qu’une véritable "invasion", l’Empire romain va s’éteindre à petit feu pour laisser place à la lignée mérovingienne. Le territoire du Pas-de-Calais actuel, situé aux marges septentrionales de l’Empire romain à proximité des peuples germaniques, est très vite concerné par les incursions dites "barbares".
Dès 400, les Saxons ont pris pied dans le Boulonnais. Ils étaient normalement au service de l’Empire mais n’étaient pas convertis au christianisme. En 440, un roi franc, Clodion, s’installe à Cambrai en massacrant la garnison romaine : c’est l’arrière grand-père d’un certain Clovis. Au départ, ces Francs saliens sont eux aussi des officiers au service de l’Empire mais celui-ci ne maîtrise plus guère une province de Gaule Belgique de plus en plus morcelée. Le royaume des Francs saliens qui se constitue d’abord autour de Tournai inclut sans doute très tôt, dès Childéric, père de Clovis, la vallée de la Scarpe et l’Est du département.
De la seconde moitié du VIe siècle au VIIIe siècle, la situation politique, sociale et sanitaire du département semble bien fragile : épidémies de typhus et de peste, luttes intestines au sein de la lignée mérovingienne. Après le partage du royaume de Clovis, le Pas-de-Calais est localisé en Neustrie mais la frontière avec l’Austrasie est toute proche, à l’Est de Cambrai et les tensions entre les successeurs de Clovis sont vives. Un épisode de ces guerres fratricides se déroule à Vitry-en-Artois où Sigebert 1er (roi d’Austrasie) fut tué par un assassinat fomenté par Frédégonde, épouse du frère ennemi Chilpéric 1er, roi de Neustrie. Cette époque transparaît aussi dans la toponymie avec la fameuse chaussée Brunehaut (du nom de l’épouse de Sigebert), déjà évoquée dans la période Gallo-romaine.
Pour autant, tout n’est pas si noir dans notre département : sa situation au contact des espaces frisons au Nord et saxons dans le bassin de Londres favorise le commerce du plomb, de l’étain, de la laine et les échanges avec le blé de Neustrie, les vins de Loire, de Champagne et de Moselle. Quentovic, près d’Étaples, possède un port dynamique et un atelier monétaire.
L'habitat rural de la période mérovingienne est relativement peu connu. De simples cabanes légèrement creusées dans le sol avec un toit de paille sont connues.
De même, quelques grands domaines fonciers semblent perdurer et passer de l’époque antique au Moyen Âge sans trop de heurts comme la villa de Sithiu cédée au VIIe siècle par un riche propriétaire converti, Adroald, à Omer, évêque de Thérouanne. C’est le point de départ de l’abbaye de Saint-Bertin.
De la dynastie carolingienne à la féodalité (Xe-XIe siècle)
Si Charles Martel a "vaincu les arabes à Poitiers", il a auparavant remporté une victoire importante pour l’unité du royaume franc sur les Neustriens à Vinchy (717, Les-Rues-Des-Vignes près de Cambrai). Cette victoire d’un petit maire du palais austrasien, bâtard qui plus est, sur les Neustriens alliés aux Frisons, aux Saxons et aux Aquitains contribue à replacer les 3 royaumes d’Austrasie, de Neustrie et de Burgondie sous la même autorité. Charles Martel n’a jamais reçu le titre de roi de France mais ses descendants fondent la dynastie Carolingienne.
Les fastes de l’Empire de Charlemagne laissent bien peu de traces archéologiques dans notre département où la fameuse renaissance culturelle du IXe siècle laisse rapidement la place aux invasions normandes.
Les vallées de l’Aa, de la Canche, de la Liane, de la Scarpe et de la Lys depuis l’Escaut, de l’Authie constituent des axes de pénétration idéaux pour les Normands. Une flotte défensive est armée dès 811. Six siècles après l’Empereur romain Septime Sévère, l’Empereur Charlemagne se rend à Boulogne-sur-Mer afin d’inspecter sa flotte. L’utilisation de ces rivières peut surprendre aujourd’hui mais le réseau hydraulique du Pas-de-Calais était bien différent de l’actuel et les modestes cours d’eau d’aujourd’hui avaient une toute autre ampleur durant le Moyen Âge.
Entre le IVe et le VIIIe siècle, le niveau marin est plus haut que l’actuel, noyant les basses vallées de l’Aa, de la Liane, de la Canche, de l’Authie. Montreuil est au bord de la mer, un port actif s’y développe et devient le premier port maritime sous les capétiens avant de s’ensabler à partir du XIIIe siècle. Une bonne partie du Calaisis est sous les eaux. Sur le plan environnemental, le Pas-de-Calais reste très boisé au moins jusqu’au 9ième siècle : des forêts immenses, qui ont même gagné du terrain depuis l’Antiquité, recouvrent un vaste territoire entre Canche et Ternoise et tout le sud arrageois.
Autre élément d’instabilité : le partage de Verdun en 843 va placer notre département dans la Francie occidentale, en lisière de la Lotharingie dont relevait le Hainaut-Cambrésis : cette situation toujours frontalière du département contribue à la fragilité de son pouvoir politique.
Devant cette montée des périls les villes, Saint-Omer, Montreuil, Arras sont rapidement fortifiées. Ceci n’empêchera pas les pillages, très nombreux entre 879 et 881. Il n’y a pas de traces archéologiques de ces invasions normandes mais les textes en rendent compte abondamment : Annales et Livre des Miracles de Saint-Bertin, Annales de Saint-Vaast.
Des mottes féodales aux "châteaux-forts" (XIe-XIIIe siècle)
Le Moyen Âge est une période d’affirmation de pouvoirs multiples : pouvoir royal, pouvoir des aristocraties locales (comtes), pouvoir de l’Église (évêques et papauté), pouvoir d’une bourgeoisie naissante dans les villes… sans parler des raids d’envahisseurs (Normands puis Anglais) ou du brigandage. Les frontières se construisent à l’échelle d’un comté, d’une commune, d’un domaine, d’une terre riche et donc très convoitée en Artois et en Flandres. Pour tenir chaque territoire, le château de pierre succède à la tour de bois sur motte de terre et va symboliser le Bas Moyen Âge.
Petit à petit les comtes, représentants locaux du pouvoir royal, deviennent indépendants, leur fonction devenant héréditaire. A partir de Baudouin II (879-918), le comté de Flandre devient la principale entité politique au nord de la Seine. Il s’étend sur un territoire de plus en plus vaste et couvre une grande partie des départements de la Somme, du Pas-de-Calais, du Nord et une partie de la Belgique actuelle. Les comtés de Guînes, de Boulogne, de Saint-Pol, la seigneurie de Béthune sont également des fiefs importants. Godefroi de Bouillon, fils du Comte de Boulogne s’illustre dans la 1ère croisade (1096-1099) en prenant Jérusalem.
L’Artois, que l’on peut assimiler au Pas-de-Calais, n’est séparé politiquement de la Flandre qu’au XIIe siècle. Les vallées de l’Aa, du Neufossé et de la Lys tracent une frontière (traité de Pont-à-Vendin en 1212) qui sépare toujours le Nord du Pas-de-Calais. Le comté d’Artois dépend directement du domaine royal pendant deux siècles de la fin du XIIe à la fin du XIVe siècle.
Cette relative stabilité politique coïncide avec une période faste pour le Pas-de-Calais.
Essor agricole
De grands défrichements sont entrepris à partir des années 1100-1150. De nombreuses inventions permettent des améliorations :
- charrue à bœufs avec soc verseur en fer remplace l’araire
- premiers amendements de la terre par marnage et fiens
- développement des moulins à eau
- assèchement des marais
Les céréales dominent en Artois. Les rendements paraissent très élevés : jusqu’à 15 qx/ha soit quasiment les rendements du début du XXe siècle ! L’élevage ovin et bovin domine sur la côte. L’Artois apparaît alors comme le grenier à blé de la Flandre et des Pays-Bas.
Essor des villes, du commerce et de l’artisanat
Le mouvement communal débute très tôt : l’Artois devient vite la terre des indépendances communales symbolisées par l’érection de beffrois. Hénin-Liétard, Saint-Omer (1127) et Aire ont des privilèges judiciaires et économiques dès le début du XIIe siècle. La charte d’Arras est concédée en 1163, celle de Calais en 1181.
La fabrication des draps autour Arras et Hesdin s’intensifie : leurs marchands participent aux foires de Champagne dès 1137 et les draps d’Arras, de Saint-Omer, de Montreuil sont vendus jusqu’à Gênes et en Orient.
Arras est alors une ville brillante. La confrérie des jongleurs et des bourgeois arrageois est créée au XIIe siècle. Deux grandes figures illustrent cette époque : Jehan Bodel, mort en 1210, jongleur, poète et Adam de la Halle, trouvère, auteur de revues théâtrales osées pour l’époque avec beaucoup d’humour et de parodie de la société médiévale.
Les démographes estiment que la densité de population de 30 habitants/km² au IXe siècle (de l’ordre de 200 000 habitants) double quasiment fin XIIIe siècle.
Un territoire éclaté (XIVe-XVIe siècle)
À partir du XIVe siècle, l’Artois décline. On pense bien sûr à la guerre de Cent ans (1337-1453) mais il ne faut pas donner à ce conflit un enjeu national qu’il n’a pas. Durant trois siècles notre département est en fait le terrain de jeu de luttes féodales, d’alliances et mésalliances entre différents seigneurs qui peuvent porter le titre de comte, de duc ou de roi, et feront basculer notre département dans l’escarcelle française, flamande, anglaise, bourguignonne et enfin espagnole.
Quelques temps forts de cette période tumultueuse :
1347 : capitulation de Calais qui restera enclave anglaise jusqu’en 1558, avec le comté de Guînes. Répercussion néfaste sur l’activité commerciale de la façade maritime et sur le développement de Saint-Omer et Boulogne.
1415 : Azincourt : grande victoire des archers anglais d’Henri V.
1435 : Paix d’Arras entre Philippe le Bon, duc de Bourgogne (1419-1467) et Henri VII, roi de France. Cette réconciliation franco-bourguignonne marque le début de la reconquête sur les Anglais. Le duc de Bourgogne, qui avait livré Jeanne d’Arc aux Anglais 4 ans auparavant, se rapproche du camp français. Même si la querelle reprendra avec leurs fils respectifs, Charles le téméraire et Louis XI, cette paix d’Arras peut être interprétée comme une première "alliance nationale" contre les visées de l’Angleterre sur le continent.
1520 : entrevue du Camp du Drap d’Or où François 1er tentera en vain de persuader le roi d’Angleterre Henri VIII de combattre l’Empereur Charles Quint.
1526 : traité de Madrid où le roi de France renonce à sa suzeraineté sur l’Artois. Notre département devient une province des Pays-Bas espagnols.
1553 : sièges et destructions des villes de Thérouanne et d’Hesdin, qui sont alors enclaves françaises, par l’Empereur Charles Quint.
1558 : le duc François de Guise et le sénéchal de Boulogne reprennent Calais et le comté de Guînes aux Anglais : il n’y a plus d’Anglais sur le sol de France… mais le Pas-de-Calais sera espagnol jusqu’au traité des Pyrénées, 1659, qui replace l’Artois sous la souveraineté française.
À cette toile de fond politique très mouvementée, il faut ajouter des difficultés économiques : concurrence des tissus italiens, déclin des foires de Champagne, des épidémies comme celle de la peste noire (1340-1350) qui a touché environ 30 % des foyers de villes comme Arras, Aire ou Saint-Omer, et même une péjoration climatique. Du XVe au XIXe siècle, un climat globalement plus froid que l’actuel se met en place : c’est le "petit âge glaciaire". Malgré une brève éclaircie sous le règne de Philippe le Bon, on estime qu’entre le milieu du XIIIe et le milieu XVe siècle, la population rurale a chuté de 50 % en Artois.