La prescription d’un diagnostic archéologique a été déclenchée par saisine anticipée par la commune d’Ardres. Il s’agit de la requalification de la place d’Armes et de ses espaces adjacents. Le diagnostic s’étend sur une surface totale de 5250 m2.
Le diagnostic a eu lieu du 26 mars au 11 avril 2018, mené par la Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais sous la responsabilité de Emmanuelle Leroy-Langelin. Compte-tenu du contexte urbain, quatre fenêtres ont été réparties stratégiquement sur l’ensemble de la prescription. Totalisant 198 m2, les quatre tranchées entreprises sur les 1249 m2 accessibles du projet ont permis d’ouvrir 6 % de la surface accessible.
La ville d’Ardres de fondation médiévale connaît une occupation continue du 11e siècle à aujourd’hui. Subissant les épreuves des sièges, durant les conflits seigneuriaux, la guerre de Cent Ans et les heurts avec les provinces espagnoles du nord, la ville est rapidement devenue une place forte, fortifiée de manière de plus en plus complexe, pour finalement être démantelée au milieu du 19e siècle.
L’opération archéologique réalisée en cœur de ville, Place d’Armes et Place Dorsenne, a permis d’appréhender deux grandes phases d’occupation allant de l’époque médiévale aux fortifications modernes de la ville.
Les éléments archéologiques correspondant à l’époque médiévale sont variés. Il s’agit de fondations de murs relativement larges, en pierre calcaire ; de fosses creusées montrant parfois des traces d’aménagement (cuvelages ?) ; et de niveaux identifiés comme des sols, des niveaux de circulation ou des remblais.
En premier lieu, il convient d’insister sur la présence d’un trou de poteau potentiellement carolingien situé dans la tranchée 1. En effet, le sous-sol archéologique de la Place d’Armes à Ardres pourrait livrer des éléments significatifs sur l’occupation des lieux à l’époque carolingienne (étal d’un marché, bâtiment, petit enclos ?) jusqu’à la fin de l’époque moderne (édifice militaire). Ces places, lieux d’échanges et de matérialisation de l’autorité civile, seigneuriale ou militaire, sont trop rarement documentées de manière exhaustive.
Les fosses apparues dans les tranchées 1, 2 et 8 sont de diverses natures et tailles. Quelques-unes semblent dater des XIIIe et XIVe s. Un autre élément remarquable réside dans la très forte verticalité des parois de grandes fosses dans les tranchées 2 et 8. Si cela atteste sans aucun doute la présence d’un cuvelage disparu, nécessaire dans ce substrat sableux, sa nature reste indéterminée (bois, planches ou clayonnage, maçonnerie légère récupérée ?). On peut d’ailleurs parfaitement imaginer un espace bâti (maisons de particuliers ?) couvrant ces espaces.
Les fondations de murs découvertes dans la tranchée 2 sont orientées sud-ouest / nord-est et semblent alignées avec l’axe des constructions situées à l’ouest de la place, notamment le bâtiment de l’ancien Arsenal. Ce dernier est visible sur les plans de la fin du 16e s. contrairement aux fondations antérieures au 16e s. découvertes lors du diagnostic. Cela témoigne probablement de la destruction de ces constructions durant le 16e s. Les maçonneries mises au jour affichent des dimensions (de près d’1,30 m) excluant le caractère domestique ou privé de l’édifice et interroge sur l’usage de l’espace. Il pourrait s’agir de constructions liées au domaine militaire, fonctionnant avec la bâtisse de l’Arsenal durant le 15e s. ; ou liées au domaine civil. Un niveau de sol en craie damée est associé aux murs. Dans l’état actuel des connaissances, il est difficile de statuer sur l’interprétation du sol : sol intérieur ou sol de cour ? Les dimensions de la tranchée sont trop restreintes pour permettre une vision d’ensemble du bâti.
Concernant la Place d’Armes, un certain nombre de données issues de l’opération permettent aujourd’hui de proposer des hypothèses de l’organisation des lieux à la fin de l’époque médiévale. Les maçonneries de la tranchée 2 témoignent peut-être d’un espace de place plus réduit aux 14e et 15e s. La présence de la grande cave de la tranchée 8 abonde également en ce sens. On pourrait considérer la possibilité d’un passage unique d’une voirie centrale et non d’une place telle qu’elle apparaît aujourd’hui.
Malgré cette hypothèse, il n’en reste pas moins un caractère central fort autour de ce lieu avec un probable bâtiment civil ou militaire et des caves de grandes dimensions. Le mobilier associé mis au jour sur la place montre des particularités, notamment dans sa qualité de décor et de composition : un carreau de pavage historié, des monnaies en alliage cuivreux et de la céramique importée (grès ?) ou de qualité (céramique très décorée).
Les éléments archéologiques associés aux périodes récentes sont essentiellement constitués de remblais, de fosses et murs modernes.
Sur la Place Dorsenne, de grandes fosses ont été découvertes, ayant entraîné la destruction partielle d’un mur en briques rouges. Le mobilier céramique récupéré n’est pas antérieur au 16e s. L’ensemble marque probablement la destruction d’un habitat ayant abrité des caves, sur place ou à proximité. En effet, les différents plans proposés dans la notice historique ne montrent aucun élément spécifique sur cette place.
Sur la Place d’Armes, plusieurs fosses datent de l’époque moderne, dans la continuité des découvertes liées à la fin de la période médiévale. Les remblais découverts attestent l’usage d’un espace ouvert et probablement d’un bouleversement profond de l’organisation de la place. Le fait marquant de ce diagnostic pour les données modernes concerne la mise au jour d’un ensemble de maçonneries d’un bâtiment dans la tranchée 1. La notice historique nous permet d’interpréter ces fondations comme celles du corps de garde du 18e siècle. Ce dernier apparaît sur le plan de 1769 alors qu’il ne figure pas sur le plan de 1763 et n’existe plus sur le cadastre napoléonien de 1832. Malgré sa courte existence, son positionnement se cale parfaitement avec le bâtiment illustré sur le plan de 1769. Même si une seule assise est conservée, les découvertes archéologiques sont des vestiges particulièrement intéressants. D’une part, ils permettent de confirmer les données du plan de 1769, mais surtout, la fouille de cet édifice permettrait de réunir des éléments inconnus jusqu’alors. Si les plans semblent montrer une superposition quasiment parfaite, le dessin reste figuratif et ne renseigne ni les matériaux utilisés pour la construction, ni l’organisation interne du bâtiment. Documenter ce site permettrait d’appréhender ce type de construction militaire du 18e siècle, qui ici, témoigne d’un profond bouleversement de l’usage d’un espace civil.
Le diagnostic archéologique réalisé sur la commune de Ardres a révélé des vestiges très intéressants. D’une part, il a permis la mise au jour de fosses médiévales, mais aussi de maçonneries de fondations qu’aucun plan d’époque moderne n’illustre. D’autre part, il a livré les fondations du corps de garde associé aux fortifications de la ville datant du 18e siècle.
Référence du rapport
LEROY-LANGELIN (E.) dir, DEWITTE (O.) MEURISSE-FORT (M.), PANLOUPS (E.), Ardres, Place d'Armes, Place Dorsenne, Rapport final d'opération de diagnostic, éd. Direction de l'Archéologie du Pas-de-Calais, Dainville, 2018, 142 p., 81 fig.