Archéologie - Pas-de-Calais le Département
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Epinoy, Haynecourt, Sancourt, base aérienne 103 - phase 1, 2017, diagnostic

Le projet E-Valley vise la création du plus grand parc e-logistique d’Europe, portant sur l’intégralité de l’ancienne base aérienne 103 (BA 103), soit sur une surface foncière d’environ 329 ha. Le présent diagnostic porte sur une superficie de 47 ha correspondant à une première phase du futur aménagement, située dans l’angle nord-ouest du site militaire. L’emprise est délimitée à l’ouest par la route départementale 943 reliant Douai et Cambrai. Au nord se trouve la commune d’Epinoy et au sud celle d’Haynecourt. A l’est, la piste se poursuit encore sur environ 2 km avant de sortir de la BA 103 sur la commune de Sauchy-Lestrée. Cette opération a permis de compléter significativement les connaissances actuelles sur l’occupation archéologique de ce territoire à la limite des plaines de l’Artois et du Cambrésis. L’ensemble des vestiges découverts présente un très bon état de conservation probablement lié au statut militaire du site. Les pratiques d’agriculture intensive habituellement observées en contexte rural et participant à l’érosion des sites sont en effet absentes.

Un habitat ouvert du 1er âge du Fer

Sur près d’1 ha au nord-ouest de l’emprise se développe un habitat daté du 1er âge du Fer. L’organisation spatiale des structures illustre une implantation en aire ouverte, avec des constructions de petit module, parfois positionnées autour d’un bâtiment plus grand et allongé, non détecté lors du diagnostic. Plusieurs fosses situées en périphérie des concentrations de trous de poteaux ont livré du mobilier archéologique, attestant du statut domestique de l’ensemble. Les deux datations radiocarbone confirment la chronologie établie par le mobilier céramique (Hallstatt D) et l’une d’elles pourrait éventuellement indiquer une occupation du site dès la fin du Bronze final. Le mobilier est abondant, mais il est concentré dans un nombre restreint de structures, phénomène récurrent sur les sites du Ier âge du Fer (pour exemples les ZAC de Lauwin-Planque et de Brebières, Leroy-Langelin (sous la direction de) 2015 et Huvelle (sous la direction de) 2015). La fouille exhaustive de ce site s’inscrit parfaitement dans les thématiques de recherches actuelles définies dans l’axe 5 de la programmation nationale de la recherche archéologique du CNRA sur l’identification et la caractérisation des sites d’habitats au début du Ier millénaire, notamment lorsqu’ils ne sont pas identifiés dans un système d’enclos. à l’échelle régionale, l’analyse approfondie de ce site à travers les études de mobiliers, de l’architecture, ainsi que de la structuration spatiale des activités domestiques et artisanales participerait à préciser les modes et modèles d’occupation du territoire et les aires d’influences à cette période. Ces thématiques nourriront de manière significative les travaux de recherche du PCR HABATA.

Une succession d’habitats laténiens et gallo-romains

Une occupation dense, stratifiée et fortement structurée, caractérisant une forme d’habitat groupé le long de chemins, prend place sur toute la moitié est de l’emprise entre La Tène moyenne/finale et le Haut-Empire.

Ce site, de près 6 ha (2,5 ha au nord-ouest et 3,5 ha au sud-ouest), est organisé autour de 3 axes de circulation connectés les uns aux autres. Le chemin creux principal (chemin A) au parcours sinueux est accompagné de 2 réseaux viaires secondaires (chemins B et C) dont la chronologie n’a pu être affinée dans le cadre du diagnostic. Observé sur plus de 500 m et traversant l’emprise selon un axe nord-ouest/sud-est, l’axe A semble être un élément structurant fort du paysage de ce micro-territoire situé entre Nemetacum et Camaracum. Ce chemin est ainsi localisé à moins de 6 km à l’ouest de Cambrai, à 3 km au nord de la voie qui relie le chef-lieu de la cité des Atrébates et la frontière de la cité des Nerviens et à 2 km à l’est des deux villae mises au jour à Marquion (Vanwascappel, Barbet 2015 ; Prilaux 2012). D’autres axes de circulation ont été repérés dans ce secteur lors des opérations du Canal Seine-Nord Europe et notamment à 6 km de là, à Bourlon (Lamotte 2012 : 154-157). Les niveaux d’abandon des réseaux de communication de la BA 103 n’ont pas livré de mobilier postérieur au 2e siècle après Jésus-Christ. Leur mise en place n’est pas datée, mais le parcours sinueux du chemin creux A inviterait à admettre son existence à la fin de la période laténienne. Il semblerait que ce chemin A polarise les premières implantations humaines. Le développement et l’extension de ces dernières conduirait à l’installation de nouveaux axes de circulation caractérisés par les chemins B et C vraisemblablement gallo-romains. La chronologie entre ces deux voiries reste à confirmer. La présence de céramique modelée en plus grande quantité dans le chemin C suggèrerait toutefois son antériorité par rapport au chemin B.

Le système parcellaire se développe de manière rayonnante autour du chemin. Le mobilier issu des fossés est daté entre la fin du Second âge du Fer et le Haut-Empire, ce qui concorde avec l’usage supposé des différents axes de circulation. Traversant toute l’emprise du diagnostic, deux fossés suivant scrupuleusement l’orientation du chemin A, caractérisent de probables relais du maillage parcellaire territorial. Leur contemporanéité avec le chemin creux A, au moins au moment de son installation, est supposée, avant un abandon qui semble intervenir durant le 1er siècle après Jésus-Christ. Au nord de ces deux fossés, une unité agricole caractérisée par un système d’enclos emboîtés a été mise en évidence. Celle-ci se développe en dehors de l’emprise de diagnostic vers le nord-est. L’abandon de cet établissement semble intervenir dans les premières décennies du 1er siècle après Jésus-Christ. Fonctionnant de manière autonome, ce type d’exploitation agricole est courant dans ce secteur de la Gaule Belgique à l’instar des exemples récemment mis au jour dans le cadre préventif comme le triple enclos découvert à Ytres dans la Somme, à 20 km au sud-ouest, et occupé de La Tène moyenne au début de l’époque romaine (Marcy 2009 : 45-47).

Les autres habitats identifiés s’établissent entre La Tène moyenne/finale et la fin du Haut-Empire et se concentrent le long des axes de communication, selon deux modèles d’occupation distincts. Les structures d’habitat peuvent prendre place au sein d’enclos ou se regrouper sous forme d’îlots délimités par les fossés parcellaires. Diverses formes d’architectures rurales sont observées. L’on retrouve ainsi des constructions sur poteaux de bois, une cave/cellier datée du Haut-Empire trahissant la présence d’une construction à cet endroit et enfin la présence d’un grand édifice sur fondation de craie damée et daté également du Haut-Empire. Ce dernier édifice peut être comparé à des exemples mis au jour ces dernières années comme sur le site de La Sentinelle près de Valenciennes (Quérel et alii 2008 : 109-110) ou encore lors du diagnostic ZP 9 réalisé à Oisy-le-Verger (Notte, Marcy 2009 : 38-39).

Ainsi, au moins 5 enclos datés de la période laténienne au 1er siècle après Jésus-Christ ont été partiellement identifiés dans le quart sud-ouest de l’emprise. Les îlots d’habitat mis en évidence revêtent, pour leur part, une organisation de type « villageois » inhabituelle pour ces périodes. Le caractère remarquable du site découvert sur la BA 103 réside donc dans l’aspect clairement domestique et rural des vestiges allié à une structuration hors enclos de l’ensemble. Cela sous-tend, de fait, la question du statut du site. L’étude approfondie de ces aspects économiques et sociaux pourrait nous permettre d’appréhender plus finement les populations ayant vécu dans ces villages de campagnes. Le mobilier métallique et céramique illustrent des activités domestiques relevant, à première vue, de la sphère rurale, tournée vers des pratiques agricoles. La question de l’élevage reste difficile à aborder en raison de la médiocre conservation des ossements. En effet, près de 40 % d’entre eux correspondent à des restes dentaires, plus résistants aux différents processus taphonomiques. Le bœuf et le cheval restent les taxons majoritaires, suivis par les autres espèces domestiques habituelles, à savoir le capriné, le porc, l’oie et le chien. La présence de bétail ou non au sein du site reste une piste de réflexion pertinente à poursuivre pour la caractérisation du mode de vie des habitants. Aucune forme d’atelier n’a été mise en évidence, mais la présence de scories atteste indirectement d’une activité de forge à proximité. De même, la mise au jour d’une céramique de stockage contenant un dépôt de pesons complets dans une fosse de La Tène finale reste une découverte remarquable, illustrant la pratique du tissage sur le site.

Les pratiques funéraires laténiennes/gallo-romaines

Au moins 45 structures funéraires ont été identifiées, réparties sur l’intégralité de l’emprise, excepté le quart nord-est. Les tombes s’échelonnent sur une chronologie allant de la fin de La Tène ancienne au 2e siècle après Jésus-Christ.

Le quart sud-est définit un espace funéraire dédié, totalisant une vingtaine de tombes identifiées sur un espace de plus de 200 m de long. 3 d’entre elles ont été testées, suggérant un fonctionnement au moins à la fin de La Tène ancienne ou au début de la Tène moyenne (La Tène B2-C) et le 1er siècle après Jésus-Christ. Il n’est effectivement pas possible d’affirmer, en l’état des découvertes, l’usage continu ou non de cette nécropole. Outre les tombes, au moins 2 monuments funéraires et 2 potentiels lieux de crémation ont été mis en évidence. L’absence de recoupement stratigraphique identifiée lors du diagnostic révèle probablement une utilisation très organisée de cet espace funéraire sur une longue période (entre 350 et 400 ans). Ce phénomène traduit une tradition souvent reconnue de préserver les espaces cultuels ou dédiés aux monde des défunts même si son usage n’est pas continu. L’organisation interne de l’espace funéraire reste à préciser, le nombre total de sépultures, sa durée d’utilisation, ainsi que son extension. L’abandon du triple enclos et des longs fossés de structuration parcellaire coïncide avec l’absence de tombes postérieures au 1er siècle après Jésus-Christ. Cela pourrait indiquer un lien ou du moins une cohérence entre l’unité agricole et la nécropole.

Outre la problématique entre funéraire et habitat, l’étude de l’espace funéraire offre l’opportunité de compléter les informations recueillies sur les sites funéraires fouillés aux alentours, notamment dans le cadre du projet du Canal Seine-Nord-Europe. Les nécropoles de Cambrai « Le Nouveau Monde » (Assémat 2009), Marquion « ZP 8 » (Gaillard et Gustiaux 2009) et Oisy-le-Verger « Fouille 3 » (Marcy 2011), présentent une utilisation à la période laténienne et à l’Antiquité, au moins jusqu’au 1er s. après Jésus-Christ, tout comme celle de la BA 103. En usage seulement à partir de La Tène finale, ces exemples ne livrent en revanche ni enclos, ni monument. De fait la nécropole découverte sur la BA 103 ferait alors exception sur le territoire du Cambrésis, si la durée d’utilisation de l’espace funéraire était avérée durant toute la période, soit depuis la fin de La Tène ancienne.

A l’ouest, une vingtaine de tombes, réparties par grappes, ont également été découvertes le long des axes de circulation, en particulier au bord du chemin creux A. Seule une tombe datée de La Tène finale est apparue isolée des autres. Toutes les autres sépultures fouillées ou livrant du mobilier en surface sont datées entre la fin du 1er et le 2e siècle après Jésus-Christ. Aucune tombe ne semble s’installer suite à l’abandon du chemin, et a fortiori de l’habitat.

Les occupations laténiennes et gallo-romaines mises au jour sur la BA 103 s’inscrivent dans le territoire de l’arrière-pays de l’agglomération antique de Cambrai. Cette campagne, située non loin de l’Escaut, à la frontière entre les Atrébates et les Viromanduens se révèle densément occupée entre la fin de la Protohistoire et l’Antiquité, comme le confirme les nombreuses découvertes récentes. En effet, les opérations archéologiques du Canal Seine-Nord-Europe sont localisées à moins de 4 km au sud-ouest de la BA 103. L’attractivité de ce territoire, en lien possible avec les grands domaines agricoles de Marquion, aurait pu jouer un rôle décisif dans la mise en place de nouvelles formes d’habitat groupé découvertes en bordure de chemin. Les fouilles de ces occupations permettraient ainsi une approche territoriale élargie pour « dépasser l’échelle du site » tel que prôné par l’axe 10 de la programmation nationale.

vue aérienne du diagnostic en cours de réalisation.

Référence du Rapport

PANLOUPS (E.), COLLAB. AFONSO LOPES (E.), AGOSTINI (H.), CHOMBART (J.), DELOBEL (D.), LECHER (E.), LEROY-LANGELIN (E.), MANIEZ (V.), MERKENBREACK (V.), MEURISSE-FORT (M.), WILKET (L.),

Rapport final d'opération de diagnostic, Epinoy (Pas-de-Calais), Haynecourt, Sancourt (Nord),

édition Direction de l’Archéologie du Pas‑de‑Calais, Dainville, Janvier 2018, 2 volumes, 519 pages., 344 figures.