Archéologie - Pas-de-Calais le Département
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Groffliers, Waben, Conchil-le-Temple, "PAPI Bresle-Somme-Authie", 2020, diagnostic

Suite aux conséquences des tempêtes marquantes de 1984, 1985 et 1990, puis de la tempête Xynthia en 2010, l’État a demandé au Syndicat Mixte Baie de Somme et à la Communauté d’Agglomération des Deux Baies en Montreuillois (CA2BM) de mettre en œuvre un Programme d’Actions et de Prévention des Inondations (PAPI) sur le secteur Bresle-Somme-Authie afin de se doter d’une stratégie de gestion intégrée du trait de côte à court, moyen et long termes (50 ans). Dans ce cadre, des travaux importants sont prévus par la CA2BM, notamment d’endiguement, pour lutter contre les risques de submersion marine, au nord de l’estuaire de l’Authie, sur les communes Groffliers, Waben et Conchil-le-Temple. Le présent diagnostic, réalisé par la Direction de l’archéologie en septembre 2020 et janvier 2021, s’inscrit à la suite d’une première opération archéologique réalisée en 2019 plus au nord, à Groffliers, au niveau du Bois des Sapins sur le projet de digue rétro littorale (Panloups et al. 2019).

En dépit de l’absence de vestiges archéologiques, les résultats de cette seconde phase de diagnostic archéologique s’inscrivent dans une réflexion méthodologique plus large, interdisciplinaire et diachronique. La procédure définie suit les préconisations transversales de la programmation nationale de la recherche archéologique (CNRA 2016). Ainsi, cette opération a d’abord été conçue dans la perspective de « détecter des séquences archéosédimentaires pour faciliter la découverte de sites, mais aussi plus largement la compréhension de leurs contextes géomorphologiques et leur intégration dans les paysages à large échelle » (CNRA 2016 : 21).

Ainsi, les investigations géoarchéologiques ont permis de proposer une synthèse actualisée de l’évolution environnementale holocène de l’Authie. La profondeur des sondages reste toutefois inférieure à 6 m, en raison de l’utilisation d’une pelle mécanique classique. Ainsi, la séquence stratigraphique observée se concentre entre -0,50 m et 5,80 m NGF. Dans ce cadre, les tourbes basales ne peuvent être atteintes, identifiées à -16,50 m NGF à Fort-Mahon. L’opération de diagnostic s’est ainsi concentrée sur la recherche et la caractérisation de possibles tourbes subboréales, entre -4000 et -800 avant notre ère. Au moins deux séquences distinctes de tourbières ont été identifiées sur le diagnostic, sans vestiges archéologiques associés. La première tourbière, conservée entre +0,10 et 0,60 m NGF, soit à près de 5 m de profondeur, est datée, pour sa partie inférieure, au Néolithique Récent I, soit entre 3530 et 3360  avant notre ère. Cette séquence de tourbe pourrait se corréler à un autre pédocomplexe de roselière évoluant en tourbière dont les deux unités, situées entre +0,90 et 1,40 m NGF, ont été respectivement datées entre 3370-3100 et 3340-3020 avant notre ère, soit au Néolithique Récent II.

Une deuxième phase de tourbification a été mise en évidence entre +1,40 m et 1,90 m NGF. Elle est datée à la transition Néolithique Final / Bronze ancien (2400-2130 avant notre ère) dans le secteur sud de Waben. Cette stabilisation semble légèrement plus tardive à Conchil-le-Temple, centrée au Bronze ancien, sous la forme d’une vasière à roseaux, vers 2190-1960 cal avant notre ère évoluant en une tourbière plus franche, active au minimum entre 1940 et 1760 avant notre ère.
Un sondage réalisé plus au sud en 2004-2005, au Pas d’Authie (Meurisse-Fort 2009 : MM-AUT2004/2005), avait permis de recouper une troisième formation tourbeuse datée de la fin du Subboréal, entre 1260-940 avant notre ère.

L’ensemble des formations tourbeuses mises en évidence sur le diagnostic ou à proximité se situe en avant du paléo-cordon de galets surmontant la plaine environnante et correspondant aux principaux affleurements de la formation de Rue (My). Alors que sur notre emprise l’influence tidale reste importante, un marais tourbeux se développe en arrière du cordon dunaire, entre le Bronze moyen et le Bronze final (-1600-800 avant notre ère). C’est également en arrière de ce cordon que sont identifiés les vestiges archéologiques du Néolithique et de l’âge du Bronze, contemporains des tourbières retrouvées lors du présent diagnostic.

Du mobilier néolithique est ainsi mentionné au Pâtis des Trépassés à Conchil-le-Temple. Toutefois la nature du mobilier en question et le contexte de découverte n’est pas connu. Lors de la fouille de la Frénésie, toujours à Conchil-le-Temple, une fosse néolithique a été découverte. Le mobilier est décrit comme « infime ». Sa datation s’appuie sur quelques tessons de céramique dégraissés au silex, ainsi que des outils en silex (des grattoirs et un pic) recueillis dans la terre végétale (Piningre 1979). Plus au sud, la fouille de Rue dans la Somme a livré un lot lithique mésolithique et néolithique dans le comblement de structures en creux, ainsi qu’à l’intérieur et aux abords d’une zone tourbeuse (Gapenne et al. 2017).
Les vestiges protohistoriques regroupent majoritairement des enclos circulaires, dont certains sont connus uniquement en prospection aérienne et dont la datation à l’âge du Bronze n’est pas assurée. Le monument funéraire le plus ancien est daté du Bronze ancien-moyen. Il a été découvert à Rue, Chemin des Morts, lors d’une campagne de sondages menée dans la plaine maritime picarde dans le cadre de la convention régionale de surveillance des carrières (Billand 2000). Deux enclos ont par ailleurs été fouillés dans le Pas-de-Calais. Il s’agit des sites de la Frénésie à Conchil-le-Temple (Piningre 1979-1978), où le cercle est attribué au Bronze moyen et du Sémaphore à Waben (Mangeon 1996), avec un monument et une inhumation datés au Bronze final. Le double cercle de Waben, La Foraine d’Authie a été découvert en diagnostic (Lemaire 2003). Sur cette même opération, des indices d’un ou plusieurs ateliers de bouilleurs de sel ont été identifiés, rattachés au Hallstatt. Mais l’activité de production de sel se développe dans ce secteur dès le Bronze final, comme en témoigne le matériel de briquetage découvert à Conchil-le-Temple, Route de Tigny (Lemaire 2011). La fouille de Rue, Foraine de Hère, est le seul habitat du Bronze final connu à l’heure actuelle dans ce secteur des Bas-Champs, avec trois bâtiments sur poteaux, un enclos circulaire, une sépulture à incinération et un ensemble de fosses dont certaines ont livré, là encore, des éléments de briquetage utilisés dans la production de sel (Gapenne et al. 2017).

Cet exposé conduit à s’interroger sur la possibilité d’identifier des occupations humaines en avant du paléo-cordon littoral, notamment dans ces tourbières caractérisant le paysage du Néolithique et de l’âge du Bronze ? L’homme a-t’il ne serait-ce qu’exploiter ces tourbières ? Et au-delà des tourbières, pouvait-il accéder aux ressources du littoral et par quels moyens ? Ces questions auxquelles nous avons tenté de répondre au cours du diagnostic se heurtent à trois difficultés techniques majeures. La première concerne l’accessibilité des parcelles soumises à une forte réglementation environnementale. En second lieu, l’importante profondeur des sondages à réaliser pour atteindre les séquences tourbeuses ne permettent que des observations ponctuelles et non de décaper sur de grandes surfaces. Enfin, le secteur étant resté soumis à l’influence estuarienne lagunaire, des hiatus stratigraphiques liés à des phases érosives ne peuvent être exclus.

Ainsi, les recherches concernant les formes et les dynamiques d’implantation des hommes au Néolithique et à l’âge du Bronze restent à poursuivre dans les Bas-Champs. De même, la dimension paléoéconomique de ces potentielles installations permettra de documenter les choix humains d’exploitation des ressources environnantes, notamment celles issues du littoral ou des tourbières. Enfin, la tourbe constitue un lieu d’enfouissement favorable à la conservation d’objets archéologiques rares comme les matériaux organiques, dont la connaissance des artisanats associés demeure partielle. Les informations acquises par cette opération restent toutefois d’un grand intérêt scientifique, permettant de compléter significativement les reconstitutions paléoenvironnementales de l’Authie au cours de l’Holocène.

Image d'illustration de la notice scientifique à Groffier en 2020

Référence du Rapport

Panloups et al. 2021 : Panloups (É.), Meurisse-Fort (M.), Wilket (L.),

Groffliers, Waben, Conchil-le-Temple (Pas-de-Calais), PAPI Bresle-Somme-Authie,

Rapport final d’opération de diagnostic, édition Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais, Dainville, 2021 138 pages, 59 figures.

Groffliers, Waben, Conchil-le-Temple