Le Conseil général du Pas-de-Calais a programmé, dans le cadre du projet de la pénétrante de Calais (RD 304), l’élargissement de la route départementale 244 entre Guînes et Hames-Boucres. La nature des travaux risquant d’affecter le sous-sol archéologique, le Service régional de l’Archéologie a prescrit des fouilles archéologiques et a désigné le Service départemental d’Archéologie du Pas-de-Calais pour conduire l’opération. Celle-ci s’est déroulée du 4 août au 9 octobre 2008, sous la responsabilité de Jean Michel Willot. Cette opération a été l’opportunité d’explorer un site qui a été, successivement, proche d’un littoral à l’Age du Bronze, à la lisière d’une voie gallo-romain et en périphérie d’un bourg castral médiéval. À chaque période correspondent des découvertes archéologiques en lien avec son environnement historique et topographique. La bande de terrain décapée, longue de 400 m, qui pouvait apparaître insuffisamment large (20 m au maximum) pour appréhender les vestiges, a permis toutefois de caractériser pleinement trois phases d’occupation.
Le cercle de l’Âge du Bronze
Au nord-ouest de la bande décapée, un cercle de l’Âge du Bronze a été mis au jour sur le sommet d’une butte qui dominait la plaine maritime du Calaisis. Il est matérialisé par deux voire trois fossés qui délimitent un enclos d’un diamètre de 25 à 30 m. Aucune tombe n’a été découverte au centre du cercle, ni aux abords ou dans les fossés. La fouille des fossés n’a pas livré de mobilier céramique, à l’exception d’une fusaïole. En revanche, de nombreux éclats de silex et une dizaine d’outils ont été retrouvés dans les comblements. Le débitage et les éclats indiquent une taille et un abandon rapide des outils, vraisemblablement en lien avec le creusement des fossés. Plus au sud, dans un secteur de la fouille où une occupation protohistorique a été repérée mais mal datée, les pièces lithiques collectées ont été débitées avec soin pour répondre à des besoins domestiques. Le cercle de Guînes est localisé à l’extrémité sud-est d’une concentration d’enclos funéraires qui se développe à l’est du Cap Blanc Nez, le long de l’ancien littoral.
La nécropole du Bas Empire
Pendant une longue période, le secteur reste vide d’occupation avant qu’une voie gallo-romaine, la Leulène, reliant la cité de Thérouanne à Sangatte, soit tracée en bordure de ce littoral. Une nécropole a été partiellement mise au jour le long de la voie. Les huit inhumations dégagées constituent sans doute l’extrémité septentrionale de cette nécropole qui s’étend vers le sud. Les corps ont été enterrés dans un cercueil ou un coffrage en bois, déposé au centre d’une grande fosse rectangulaire. Les offrandes funéraires, majoritairement du mobilier céramique, accompagné dans un cas d’un plat en étain et d’une chaussure, ont été placées dans le cercueil au pied du défunt. Datées de la seconde moitié du 4ième siècle, ces offrandes céramiques communes dans la région comportent quelques pièces modelées d’influence germanique. À la même époque, dans l’environnement proche des sépultures, outre la voie gallo-romaine, une villa est en activité jusqu’au 4ième siècle à moins de 100 m au nord de l’aire sépulcrale.
Le hameau de métallurgistes du Bas Moyen-Âge
À nouveau, il s’écoule une longue période avant qu’une population vienne s’installer au bas Moyen-Âge en bordure de la Leulène. Pendant une courte période, entre la seconde moitié du 14ième siècle et le début du 15ième siècle, un hameau constitué de plus d’une dizaine d’édifices se développe le long de la voie.
Les édifices
Le bâti, bien que peu dense, s’agence perpendiculairement à l’axe de communication avec un léger retrait. Les bâtiments sont tous conçus selon le même schéma. À l’origine, les édifices, dont les élévations en pan de bois sont assises sur des solins en rognons de silex, possèdent un sol excavé. Systématiquement, l’excavation est comblée et une nouvelle élévation en bois, toujours fondée sur un solin en rognons de silex mais cette fois avec un sol de plain-pied, remplace la précédente. Les édifices sont larges de 5, 6 ou 10 m pour une longueur qui dépasse les 10 m.
La forge
Autour et dans ces bâtiments, se développe un artisanat métallurgique et potier. Bien que les vestiges soient très arasés, il a été possible de retrouver les installations associées à la forge, le dernier maillon de l’activité métallurgique, dans les différents ateliers. Ces derniers, quatre au minimum, sont sans doute protégés par un bâti léger. Le foyer est monté sur table, avec, dans un périmètre proche, une zone de stockage, l’enclume (dont on conserve l’ancrage au sol), un système d’adduction d’eau, un puits et sans doute un plan de travail surélevé, voire une meule également scellée dans le sol. L’activité de forge a généré des déchets (battitures, scories curage de foyer) qui sont soit laissés sur place, soit évacués vers l’extérieur, parfois dans des fosses. Les forgerons ont peu travaillé à partir de fer épuré pour confectionner les pièces, privilégiant le recyclage des objets. Dans deux ateliers, des clous, des plaques des anneaux et des tubes ont été stockés dans des fosses attenantes. Sinon les artisans qui ont accessoirement réalisés des travaux de réfection d’outils, sont avant tout des maréchaux-ferrants. En effet les dépôts et les dépotoirs ont livrés essentiellement des éléments d’harnachement (boucle, tube et anneau) et de maréchalerie (clous et fers à cheval). Les forges ont tourné grâce au charbon de bois, produit vraisemblablement dans la forêt proche de Guînes. Mais les artisans ont également employé de la houille, très probablement ramassée à une dizaine de kilomètres au sud du site, dans un secteur connu dès le 17ième siècle pour ses affleurements de veines houillères. Enfin, ce sous-sol contient aussi des oxydes de fer en quantité dont il reste à déterminer s’ils étaient exploitables comme minerai.
L’officine de potier
La forge n’est pas l’unique artisanat pratiqué sur site : un potier a installé son officine au nord des ateliers. Deux fours ont été découverts dont seules les parties excavées (la chambre de chauffe, l’alandier et l’aire de chauffe) sont conservées. Les parois étaient maçonnées en briques, liées à l’argile tandis que la sole a été réalisée à l’aide de boudins calés entre les parois et la languette centrale. L’argile a vraisemblablement été puisée sur place pour être ensuite décantée dans des fosses creusées à proximité. Au voisinage des fours, un petit bâtiment a sans doute servi pour le stockage ou de séchoir. Les fours sont devenus, après leur abandon, un dépotoir pour les ratés de cuisson d’une autre officine qui est localisée hors de l’emprise de la fouille. La production se singularise non seulement par sa nature (grandes pièces à usage artisanal), mais surtout par les techniques rudimentaires de montage employées (céramiques montées au colombin et usage du dégraissant coquillier), qui sont associées ici à la difficile pratique de la glaçure polychrome. Ces céramiques ont été utilisées par les forgerons, notamment des poêlons et plus particulièrement des bacs, sans doute à usage de baquet de trempe.
Une communauté structurée
Le hameau qui est donc composé de plusieurs unités, est organisé en fonction des activités pratiquées en leur sein. Les principaux ateliers sont localisés au centre du hameau. De part et d’autre, les unités sont dévolues au stockage. Ensuite, plus à l’ouest, viennent les activités artisanales périphériques, les cuves de débourbage ou de décantation d’argile et l’officine du potier. Enfin, isolées à l’est, les dernières unités semblent réservées au stockage des denrées périssables, peut-être les produits des jardins (céréales, légumineux), dans des greniers ou des celliers. Cette organisation révèle un groupe uni, structuré et régi par des règles communautaires, à l’image de ce qui attesté dans les régions sidérurgiques des Alpes, du Jura, du Maine ou de la Normandie.
La communauté de forgerons, une pièce de la politique anglaise de valorisation du "joyau de la couronne" ?
La présence des ferronniers dans la banlieue de Guînes, au début de la guerre de Cent ans, a nécessairement été souhaitée et organisée par une autorité, ici sans doute le bailli souverain anglais. En effet, l’installation de la communauté de métallurgistes implique l’intervention de cette tutelle pour la mise à disposition du terrain ainsi que des ressources énergétiques et minières (charbon de bois, houille et fer). Les artisans ont réalisé des outils pour la population locale, participant ainsi à la politique de valorisation économique et politique du secteur par les anglais. Mais il est également probable que les forgerons ont assuré des travaux de maréchalerie et d’entretien des équipements militaires.
La fin du hameau
Le hameau disparaît rapidement après sa fondation. La fouille n’a pas révélé de traces d’incendie ou de cause violente (faits de guerre) expliquant l’abandon du site dans la seconde moitié du 15ième siècle. De nombreuses circonstances, compte tenu de la conjoncture de l’époque, peuvent avoir entraîné cette disparition. L’escalade des conflits dès le début du 15ième siècle a peut-être conduit les forgerons à déménager pour un site plus sécurisé. L’épuisement des ressources ou la difficulté d’approvisionnement peuvent également amener les artisans à se déplacer sur d’autres sites. Les sources écrites sont hélas muettes sur le sujet.
Pour conclure, la découverte du hameau d’artisans a été l’opportunité de donner un coup de projecteur sur un pan méconnu de l’histoire économique régionale. Bien que le Boulonnais et le Calaisis n’aient pas été des grandes régions sidérurgiques, cette activité, dont l’histoire reste à écrire, a existé et son impact sur la société ne devait pas négligeable, surtout dans le contexte particulier de la guerre de Cent Ans.
Référence du rapport
Willot 2011 : WILLOT (J.-M.). Guînes, RD 244. Rapport final d'opération de fouille. Dainville : Centre départemental d'Archéologie du Pas-de-Calais, 2011 à paraître.
Mots clés
Âge du Bronze,Antiquité, Bas Empire, Moyen Âge, Bas Moyen Âge, Pas-de-Calais, plaine maritime, Guînes, voie romaine, funéraire, métallurgie, officine de potier, habitat, hameau, rural, fouille archéologique.