La Société Lidl envisage la construction d’un magasin sur le territoire de la commune de Marquise, au lieu-dit « le Mont de Cappe », le long de l’avenue Ferber. Les services de l’État ont prescrit une opération de fouille sur ce projet à la suite d’un diagnostic réalisé par Emmanuelle Leroy-Langelin en 2016. Cette opération a été menée par la Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais sous la responsabilité de Vincent Merkenbreack du 10 avril au 12 mai 2017. L’emprise du projet totalise 3700 m² et se situe dans la continuité de deux fouilles réalisées par Jérôme Maniez en 2008 et 2011. La fouille a révélé la suite de la zone funéraire mise au jour en 2008 avec des données tout à fait inédites pour Marquise mais également pour l’arrière-pays de Boulogne-sur-Mer et le littoral Morin.
Depuis presque 10 ans l’archéologie préventive investit régulièrement le territoire de Marquise et ces opérations, diagnostics ou fouilles, apportent de nouvelles preuves de l’importance de ce secteur et ce, pour différentes périodes chronologiques. Notons la fouille d’un site néolithique en 2017 (Panloups 2017), fouille d’un site de l’âge du Bronze en 2017 (Leroy-Langelin 2017) et plus particulièrement, fouilles d’une occupation romaine en 2008, 2011 et 2017 (Maniez 2008 et 2011). Entre la « Plaine du Canet », « le Guindal » et le secteur du « Mont de Cappe » le long de l’avenue Ferber, ce sont plus de 50 hectares qui ont fait l’objet d’investigations archéologiques par la Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais ou par l’INRAP.
Pour le secteur du « Mont de Cappe », la présente opération constitue la troisième fouille d’un seul et même site dont la majorité des vestiges sont attribués à la période romaine et ce de la fin du Ier s. av. J.-C. jusqu’au IVe s. ap. J.-C.
Rappel des découvertes de 2008 et 2011
Les fouilles de 2008 et 2011 portaient sur presque 3 ha ; les découvertes se rapportent notamment à un système d’enclos fossoyés quadrangulaires mis en place entre 5 av. J.-C. et 15 ap. J.-C. et comprenant deux aires distinctes : une à vocation sans doute domestique (restes d’un petit bâtiment, puits) et une à vocation funéraire (3 sépultures à rejets de crémation dans un secteur arasé).
Le mobilier provenant des tombes est précoce et de qualité et se caractérise par de la sigillée italique et lyonnaise, de la terra rubra et terra nigra champenoise, des fibules Feugère 20, une fibule Feugère 14a, et de la vaisselle métallique importée d’Italie et plus vraisemblablement de Campanie. Celle-ci comprend un bassin à manche (patère de type Eggers 124) et une cruche (œnochoé de type Eggers 154) qui correspondent au service D de Nuber, dit service de Hagenow.
Deux des sépultures sont datées entre 5 av. J.-C. et 15/20 ap. J.-C. tandis que la troisième est datée entre 15/20 ap. J.-C. et 65/70 ap. J.-C. Le faciès mobilier de ces tombes sort de l’ordinaire pour la charnière entre le Ier s. av. J.-C. et le Ier s. ap. J.-C. dans la partie septentrionale du nord de la Gaule.
Sont-ce des tombes liées à l’installation de vétérans avec leur entité familiale ou s’agit-il de notables Morins précocement romanisés ou encore de romains d’Italie ? Nous ne saurions le dire pour le moment.
Les découvertes de 2017 viennent conforter le caractère atypique de cette petite nécropole de par une fois de plus, le faciès mobilier, mais aussi par l’architecture des tombes et ce, pour le Haut-Empire et vraisemblablement pour le Bas-Empire également.
L’opération de 2017
Les 3700 m² décapés ont révélé la continuité de la petite nécropole et de son enclos funéraire. L’enclos maçonné principal est subdivisé en deux par un second système d’enclos, fossoyé pour le premier, constitué d’un muret pour le second. Ces enclos sont disposés en agrafe et sont ouverts vers le sud-est. La datation de ces enclos est ardue en raison de l’arasement des structures et de la quasi absence de mobilier datant. On constate que toute les tombes, au nombre de quatre, sont parfaitement alignées.
Dans un second temps, le système d’enclos funéraire fait l’objet d’une extension vers le nord-est, toujours dans le même alignement, une fois de plus sous la forme d’un petit muret et là encore, ouvert en direction du sud-est. Pour cette phase, trois monuments funéraires et trois inhumations ont été mises au jour.
Les tombes du Haut-Empire
Pillée probablement dès l’Antiquité, la tombe 14 n’en demeure pas moins intéressante pour son architecture. Concernant le mobilier, seule une esquille d’os brûlé et une cuillère à far en os ont été mises au jour. L’architecture de la tombe est caractérisée par un caveau doté d’un escalier d’accès taillé dans le substrat. Construit avec de gros blocs de craie en guise de parement, le tombeau possède également un sol doté de dalles de craie. La porte d’accès au caveau funéraire a été scellée par un bloc soigneusement équarri venant en butée contre les parois du tombeau et bloqué lui-même par un amoncellement de blocs de craie qui viennent combler l’escalier d’accès.
Les pilleurs du tombeau sont intervenus par le côté nord-est de la tombe, perçant la paroi de craie et allant jusqu’à démonter une partie du sol du caveau afin de vérifier si rien d’autre ne pouvait être récupéré en-dessous. À l’évidence, ce tombeau était doté d’une structure en élévation dont nous ignorons malheureusement tout.
La tombe 15 est également pillée et seul un quart était encore en place. La fouille de cette sépulture a livré un mobilier abondant et riche, y compris dans la zone pillée. En effet, dans le comblement de la fosse contenant les résidus du pillage, nous avons mis au jour l’urne funéraire en plomb ainsi que de nombreux fragments de verrerie. L’urne possédait encore son couvercle et a donc été fouillée en laboratoire. Celle-ci est de forme cylindrique et possède un décor de rinceaux sur son pourtour. Une applique à tête féminine, également en plomb, complète le mobilier provenant du pillage. Elle doit vraisemblablement appartenir à l’urne (applique décorative, sur le couvercle ?). Le quart non pillé a livré une partie du dépôt funéraire originel sous la forme d’un coffre en bois, d’une pyxide en os et de verreries dont un vase Isings 67d. Sur le coffre était déposé un ensemble de strigiles en fer (3 ou 4). L’accastillage du coffre est constitué d’un ensemble d’anneaux, d’un moraillon et de petits clous de bronze à tête de mufle de lion identiques à ceux mis au jour au sein d’une des tombes à hypogée de Marquion fouillée par Claire Barbet (communication orale) ou encore au coffret de la tombe 3721 de la ZAC de Lauwin-Planque (Leroy-Langelin 2015). La dotation à l’intérieur du coffre est composée, en dehors d’une unique perle côtelée, d’un service à ablution en bronze. La cruche, de type Tassinari 3000, possède un protomé à tête de cheval et une tête de Gorgone ou une tête féminine sur l’attache inférieure de l’anse. Le bassin quant à lui possède un manche zoomorphe de félin ou de canidé et un décor incisé au centre du médaillon représentant une étoile / feuille à l’instar d’un exemplaire mis au jour à Nimègue.
La tombe 16 a également fait l’objet d’un pillage et n’a livré que des petits fragments métalliques (clous) et des esquilles osseuses éparses.
La tombe 1, quant à elle, probablement pillée, était très arasée et en grande partie dans la terre végétale. Seul le fond de la structure a été identifié et le mobilier a été pour partie découvert lors du décapage, par la pelle mécanique. Des prélèvements ont été effectués dans la terre végétale sur un large secteur ce qui a permis de récupérer une partie du mobilier éparpillé par les labours.
Ce mobilier rappelle en grande partie celui mis au jour en 2008 dans l’une des tombes avec quelques différences. Le mobilier comprend ainsi un miroir en bronze, au moins huit céramiques (sept sigillées peut-être italiques, une cruche en commune claire), au moins deux verreries (une bouteille bleue cobalt, une coupe côtelée Isings 3a). Enfin, un service à ablutions en bronze avec une cruche de type Eggers 125 (protomé à tête de lion, médaillon d’attache de l’anse à tête de femme ; exemplaire proche de celui découvert à Templeuve en 2015 par Evelyne Gillet et étudié par Ludovic Notte) et un bassin à manche Eggers 154 (tête de bélier, pieds soudés) complète la dotation.
Les mausolées
Les mausolées mis au jour à Marquise prennent place dans l’extension de l’enclos funéraire. Lors du décapage, des ornières ont été mises au jour trahissant l’existence d’une voie ou d’un chemin en grande partie détruit par le chemin creux médiéval. Les monuments funéraires sont construits en partie sur les ornières du chemin à une date, pour le moment, indéterminée. En effet les élévations et les dépôts funéraires des trois mausolées ont été pillés. Seuls quelques éléments ont été collectés dans le caveau du mausolée 63. Pour les trois monuments, tous sont construits avec des blocs de remploi en pierre de Marquise dont certains avoisinent la tonne. Cela pose ici question sur les moyens nécessaires à mettre en œuvre pour construire de tels édifices, pour qui, mais également sur l’origine des matériaux utilisés. Des blocs pesant plus d’une tonne en remploi proviennent très probablement d’un édifice localisé non loin de là et probablement d’un bâtiment autre que privé.
Les mausolées 61 et 63 possèdent un caveau et sont construits de la même manière. Avec des blocs de remploi, une dalle de fond et des blocs disposés de telle manière qu’ils ménagent un espace sépulcral. Au sein du mausolée 63, les seuls éléments préservés du pillage sont des ossements animaux ; il s’agit des éléments d’un squelette d’agneau. Les pilleurs ont probablement récupéré la totalité de la dotation funéraire et notamment l’urne qui devait être transportable ou dans un matériau intéressant pour les malandrins.
Le mausolée 68 quant à lui sort encore plus de l’ordinaire par ses dimensions. De forme carrée, la base mesure près de 6 mètres de côté, avec un mode de construction très soigné. Là aussi les blocs encore en place de la base avoisinent la tonne. Très largement pillé, la fouille minutieuse a néanmoins permis la mise au jour de fragments provenant de l’élévation sous la forme d’un bloc peut-être d’architrave et de fragments de colonne en pierre de Marquise.
Ces quelques éléments nous permettent de proposer des hypothèses de restitution sous la base de comparaison de monuments du même type et connus par ailleurs en Gaule romaine comme les monuments de la place Eugène Werner à Lyon par exemple.
Les inhumations
Trois inhumations enfin ont été mises au jour le long du mur de clôture de l’espace funéraire agrandi. Il s’agit d’une tombe d’enfant, de celle d’un adolescent visiblement et d’un adulte. L’étude anthropologique n’a pas encore été réalisée. Seule la tombe d’enfant contenait une offrande sous la forme d’une céramique sigillée.
Cette extension de l’espace funéraire comprenant les mausolées et les inhumations pourrait être datée de la fin du Haut-Empire ou du Bas-Empire, des datations sont prévues sur les squelettes et, en fonction de la faisabilité, sur des prélèvements de charbons réalisés au sein du mausolée 68 et sur les ossements de l’agneau mis au jour au sein du mausolée 63.
Conclusion & comparaisons
Cette troisième opération de fouille pour la période romaine sur le secteur de Marquise, associée aux données des différents diagnostics et aux données provenant des découvertes anciennes, ouvre de nouvelles perspectives de recherches sur cette partie du littoral Morin durant le Haut-Empire et le Bas-Empire et sur l’arrière-pays de Boulogne avant et après la création du camp de la Classis Britannica. Avec les données d’occupation précoce, la présence de tombes monumentales utilisant des blocs de remploi ou encore la mise au jour d’un mithraeum sur la parcelle voisine, le statut de Marquise reste à préciser. Encore un effort et peut-être pourrons-nous enfin mettre au jour le camp de cavaliers dalmates qui nous permettrait de définitivement trancher l’identification de Marcis / Marcae de la Notitia Dignitatum comme étant Marquise.
Référence du rapport
Merkenbreack V. (dir.), Bolla M., Maniez J., Afonso-Lopes E., Delobel D., Majchrzak N., Guidi-Rontani G., Meurisse-Fort M.,
Marquise (Pas-de-Calais), « Mont de Cappe - parcelle ZC 123 »,
Rapport final d’opération de fouille, Dainville : Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais, vol. 1, 390 pages, 303 figures.