La dernière campagne de la fouille programmée du Mont-Saint-Eloi qui s’est déroulée du 15 juillet au 18 septembre s’est attachée à l’étude de la crypte de l’abbatiale médiévale et son environnement au nord-est. Des interrogations subsistaient à la fin de la fouille de 2014 relatives à la configuration de l’espace en sous-sol de l’édifice religieux et la structuration de l’enclos conventuel auxquelles nous avons tenté de répondre durant cette dernière année d’étude. Pour y répondre, 1025 m² ont été ouverts en totalité, 682 m² à l’emplacement de l’église gothique et 343 m² au nord-est sous la forme de fenêtres. L’étude de la crypte a porté sur un état des maçonneries juste avant sa démolition au milieu du 18ième siècle. Ces vestiges témoignent de cinq siècles d’usage et de transformations dont il a fallu retracer les étapes à partir d’éléments bouleversés à de nombreuses reprises.
Les vestiges d’une crypte romane
Le choix d’un dégagement général de l’espace en sous-sol de l’abbatiale a permis de caractériser les élévations relevant d’un état roman dans la partie occidentale de la crypte. Leur datation repose sur des critères architecturaux qui associent l’usage de dosserets, de baies aveugles en plein cintre et d’un voutement en berceau continu. La crypte qui était à l’origine de plan rectangulaire (large de 11 m) et divisée par trois vaisseaux, se poursuivait vers l’est. Les maçonneries dans ce secteur ont été totalement ruinées lors de restructuration gothique, il n’a donc pas été possible d’estimer ses dimensions précises ni la nature de son chevet. Le sol a disparu lors de ces travaux. L’édifice au-dessus de la crypte n’a également pas pu être retrouvé, car il a été totalement occulté par la restructuration gothique ainsi que les destructions modernes et contemporaines.
Le plan du sous-sol est caractéristique de celui des cryptes-halle qui se diffuse largement entre le 11ième et le 12ième siècle, ce qui n’est pas en adéquation avec les premières mentions de fondation d’une chapelle au Mont-Saint-Eloi. En effet, celle-ci intervient dans le courant de la première moitié du 10ième siècle, sous l’égide de l’Evêque Fulbert. Elle est directement liée à l’élévation des reliques de Saint-Vindicien, pour lesquelles il fait construire un nouveau sanctuaire et des bâtiments, sous la garde d’une communauté de chanoines séculiers. La fouille a mis en évidence la présence de structures sous le niveau de circulation de la crypte. Il n’a pas été possible d’en déterminer la nature, mais elles signalent des installations dont certaines étaient antérieures à la phase romane, pouvant relever d’un état préroman.
L’église gothique
Les données archéologiques de la campagne de 2014 ont porté principalement sur le chœur de l’abbatiale gothique et son environnement proche. Elles permettent de comprendre son plan, les techniques de construction et d’expliquer les choix architecturaux.
Les techniques de fondations
Le nouvel édifice gothique intègre la crypte et une partie de la chapelle romane qui occupent l’espace situé entre le chœur et le transept, selon un schéma classique pour la période. L’ancien chœur est détruit ainsi qu’une grande partie des élévations romanes à l’exception des murs nord qui ont été écrêtés. La configuration de la chapelle romane avec son sol situé à 2,50 mètres en dessous des niveaux extérieurs de circulation et sa crypte, a un impact sur le plan du nouvel édifice. Le sol d’origine est bien modifié, mais pas rehaussé : la différence de hauteur entre les niveaux de circulation du chœur et du transept reste marquée, près de trois mètres. La topographie du terrain a nécessité une mise en œuvre adaptée des fondations du chœur. En effet, construit dans la pente de la colline, l’installation de semelles a permis de rattraper progressivement un niveau d’arase plan pour la fondation. Des remblais ont également été apportés conjointement afin de rehausser le terrain et constituer une terrasse. Les murs porteurs de la moitié nord-est du chœur ont été déportés d’un mètre vers l’est, en retrait des anciennes maçonneries qui ne supportaient plus d’élévations.
La restructuration gothique
La chapelle semble presque totalement rasée lors de la construction entre 1210 et 1221 de la nouvelle abbatiale. Les éléments conservés de l’ancien édifice sont principalement ceux associés à la partie occidentale de la crypte-halle. Le sanctuaire gothique a d’ailleurs intégré ces maçonneries dans la nouvelle crypte qui occupe tout l’espace sous le choeur gothique. La crypte, longue de 24 m et large de 8 m à 11 m, se termine à l’est sur une abside et l’autel principal. Elle est accessible du transept de deux côtés, par des escaliers installés dans les angles occidentaux du mur roman. La salle principale dessert dans sa moitié occidentale deux chapelles symétriques qui disposent également d’un autel le long de leurs murs orientaux. Un pavage en terre cuite qui sera conservé jusqu’à la disparition de l’édifice religieux, a été posé probablement dès le 13ième siècle sur l’ensemble des sols. Les éléments de supports visibles dans les maçonneries, des bases en pierre bleue, ont permis de proposer une restitution de l’élévation de la crypte gothique. L’ancien couvrement roman est apparemment conservé et la moitié orientale de la salle est divisée par trois vaisseaux qui prolongent les précédents. En revanche, un couvrement de type ogival a très certainement été adopté. Les bâtisseurs ont fait preuve d’ingéniosité pour conserver cette partie de la crypte romane qui avait sans doute une importance particulière. A titre d’exemples, des murets ont été montés contre des parois de la moitié occidentale afin d’assurer une forme d’unité entre les deux parties de la crypte. Les charges du voutement gothique ont été appuyées sur les murs de l’église permettant, à la jonction entre les deux parties de la crypte, de soulager les bases des supports gothiques ancrées dans les murs et de les assoir au même niveau que les fondations romanes.
Au final, la nouvelle salle possède des dimensions respectables et une configuration avec les deux chapelles qui la classent parmi les grandes cryptes-halle en France alors que ces travaux sont réalisés durant une période qui voit plutôt leur abandon au sien des édifices religieux ou une mutation de leur usage. Au Mont-Saint-Eloi, la reconstruction de l’église et le statut de la communauté ont sans doute influé sur le choix du plan de la crypte gothique qui est devenue une véritable église basse sous l’église. Illustrant ces évolutions, l’autel principal de la crypte est dédicacé à la vierge et une antienne mariale y est chantée chaque semaine ainsi que des messes matutinales et des obituaires (De Cardevacque 1859 : 93, 119). L’élévation des reliques de Saint-Vindicien n’est pas mentionnée dans la documentation ancienne, mais un autel lui est dédié dans l’une des chapelles du choeur et non pas dans la crypte.
L’espace monastique au nord-est
La découverte de bâti daté du 10ième ou 11ième siècle conforte l’hypothèse d’une occupation du site au moment de la fondation de la communauté en 930 et probablement en lien avec cette dernière. Aucun vestige médiéval antérieur à cette période n’a été mis au jour durant les campagnes de la fouille programmée. De même que les limites septentrionales du cimetière villageois ont été appréhendées : elles semblent correspondre à l’emplacement de futurs édifices conventuels du bas Moyen Âge ou modernes qui ferment une cour. Un tronçon de l’enceinte ainsi que sa tranchée de récupération ont également été dégagés qui valident les restitutions proposées de son parcours sur la base du plan terrier de 1743. Mais ce sont les résultats du sondage à l’emplacement du cloître médiéval qui demeurent les plus surprenant. Une galerie et un pan de mur, datés du 13ième siècle, appartiennent indubitablement au cloître. En revanche, aucune trace d’une installation antérieure n’a été découverte. Les bâtiments conventuels associés à la chapelle du 10ième siècle sont probablement localisés plus proches de l’édifice religieux. Il sera sans doute difficile de les localiser car les secteurs autour de l’abbatiale gothique ont été profondément bouleversés à l’époque moderne et médiéval.
Figure 1 : Mont-Saint-Eloi, vue aérienne de la zone du choeur de l’église gothique.
Figure 2 : Mont-Saint-Eloi, plan général phasé de l’église gothique.
Référence du rapport
Jean-Michel WILLOT (direction), Laetitia DALMAU, Hélène AGOSTINI, Déborah DELOBEL, Loïc DAULNY, Murielle MEURISSE-FORT.
Mont-Saint-Eloi, Abbaye du Mont-Saint-Eloi,
Rapport final d’opération de fouilles, édition Direction de l’archéologie du Pas‑de‑Calais, Dainville, 2016, 2 volumes,258 pages, 196 figures.