Sur prescription du Service régional de l’archéologie du Nord-Pas-de-Calais, le Centre départemental d’archéologie a effectué un diagnostic sur l’emprise d’un projet d’aménagement de la mise à deux fois deux voies de la route départementale 939. Cette tranche de travaux concerne le tronçon de la route départementale 939 passant par les communes de Etrun, Haute-Avesnes, Capelle-Fermont, Agnières et Aubigny-en-Artois. Les travaux envisagés correspondent à un doublement de l’actuelle route départementale 939, à la réalisation de deux giratoires (un à Haute-Avesnes, un à Aubigny-en-Artois) et à la construction d’un ouvrage d’art au niveau de la commune de Capelle-Fermont. Le projet, porté par le Conseil général du Pas-de-Calais, aménage environ 35 hectares sur une distance de sept kilomètres. L’opération s’est déroulée du 22 septembre au 15 octobre 2014 ; elle totalise 63 tranchées et 49 fenêtres. La superficie totale d’ouverture est de 40136 m2 pour une superficie totale de 348 840 m2, ce qui correspond à 11,5 % de l’emprise du projet.
L’opération a permis d’appréhender toute une portion de territoire et de mettre en évidence plusieurs occupations concernant trois périodes chronologiques différentes à savoir la protohistoire, et plus spécifiquement La Tène moyenne, la période gallo-romaine et enfin la Première Guerre mondiale.
Des vestiges de la Première Guerre mondiale ont été exhumés tout le long du tracé, particulièrement entre Etrun et Haute-Avesnes, mais aussi au niveau de la commune de Capelle-Fermont. Ils sont caractérisés par des tranchées, des aménagements (voie ferrée, latrines...) et des fosses dépotoirs témoins de l’approvisionnement et de la vie quotidienne du soldat du Commonwealth en arrière de la première ligne de front.
Les vestiges de la période gallo-romaine sont présents de manière sporadique. Deux occupations, distantes de deux kilomètres, ont été appréhendées (ainsi qu’une fosse isolée) ; l’une sur le territoire de la commune de Haute-Avesnes au lieu-dit le Fond de Haute-Avesnes, l’autre au niveau de la commune d’Agnières au lieu-dit la Justice. La première occupation consiste en un bâtiment sur fondation de craie attribué au Haut-Empire sans plus de précision. Ce dernier, relativement arasé, pourrait correspondre à un élément d’une unité d’habitation. Le second site correspond lui aussi à un habitat ; il est ceint par un réseau fossoyé et se développe en dehors de l’emprise du diagnostic, au nord et au sud de la route départementale 939. Daté également du Haut-Empire, il est caractérisé par un niveau de sol et un bâtiment excavé.
Les sites les plus importants et les mieux conservés mis au jour correspondent à la période protohistorique. En effet, trois zones ont livré des vestiges concernant La Tène moyenne. Une quatrième zone a livré des traces d’une occupation datée potentiellement de la protohistoire ancienne. Elles sont réparties tous les deux kilomètres, systématiquement en bordure haute de vallon, entre l’oppidum d’Etrun à l’est et les vestiges d’un enclos laténien mis au jour dans le cadre d’un diagnostic sous l’usine "Pasquier" à Aubigny-en-Artois. Situés sur un substrat limoneux ou crayeux, les vestiges apparaissent directement sous la terre végétale (entre 0,40 m et 0,50 m de profondeur) et sont conservés par endroits sur 0,40 mètre de profondeur voire plus de deux mètres pour les structures de stockage. Sur les quatre zones, deux se sont révélées particulièrement positives (Les Tourtelottes - commune de Haute-Avesnes, le Château Fort - commune de Capelle-Fermont), la troisième est difficile à caractériser tant chronologiquement que structurellement (entre le Cabaret Rouge et le Cabaret Blanc - commune d’Aubigny-en-Artois), la dernière quant à elle est peut-être la périphérie d’un site d’habitat (les Cinquante - commune d’Etrun).
Le site des Tourtelottes, commune de Haute-Avesnes, représente 9000 m2 de l’emprise du futur aménagement, soit une bande de 30 mètres de large en moyenne sur un peu plus de 300 mètres de long. Il est localisé à moins de 500 mètres d’une unité d’habitation en enclos curviligne mis au jour en 2012 lors d’un diagnostic à Hautes-Avesnes au lieu-dit Fond d’Acq. Ces deux occupations de La Tène moyenne (C1/C2) entretiennent assurément des liens étroits. Des similitudes ont en effet été mises en évidence pour certaines structures, à l’instar des fossés d’enclos qui présentent les mêmes caractéristiques morphologiques et une ouverture vers le sud-ouest, mais des différences notables sont également à noter.
Le site du Fond d’Acq revêt un caractère domestique ‘‘standard’’ alors que le site des Tourtelottes contient à la fois une zone funéraire (dont l’étendue nous est inconnue), un enclos, un bâtiment dont le plan nous échappe et un second bâtiment qui adopte un plan circulaire ou en abside. La fonction de ce dernier pose question en raison de son plan d’une part et d’autre part en raison du dépôt de fondation tout à fait particulier mis au jour dans l’un de ses poteaux (parure, barres à douille, céramique, haches polies, perles de verre, applique décorative...). Seule une fouille permettrait de mieux comprendre la fonction de ce bâtiment, la raison du dépôt de fondation, l’organisation de cette occupation et le lien entretenu avec le site du Fond d’Acq - commune de Haute-Avesnes. Ces deux sites, localisés à moins de 500 mètres l’un de l’autre, peuvent éventuellement appartenir à un même "domaine" où l’habitat, ou les habitats, sont hiérarchisés et organisés à l’instar de ce qui a pu être mis en évidence sur la zone d’Actiparc située 18 kilomètres à l’est de la présente opération.
Le site du Château Fort, commune de Capelle-Fermont, représente 9000 m2 de l’emprise du futur aménagement au nord de la route départementale 939 et une petite zone de 850 m2 au sud de celle-ci. Il est localisé en périphérie méridionale immédiate du site de la Croix de Metz repéré par Roger Agache en photographie aérienne sur le territoire de la commune de Capelle-Fermont. Il s’agit à n’en pas douter d’un seul et même site, de grande envergure comme le montre la photographie aérienne, site dont nous avons ici la zone périphérique consacrée au stockage des denrées et au monde des morts. Aucun plan de bâtiment n’a ainsi été mis en évidence, mais plusieurs fosses sont réparties sur l’emprise diagnostiquée et deux silos ont été mis au jour. De grand gabarit, ils sont classiques pour la région et identiques à ceux découverts à Actiparc ; ces deux silos ne semblent pas isolés au regard du grand nombre de fosses repérées en prospection aérienne.
De plus, leurs comblements révèlent les premières informations sur l’habitat du site de la Croix de Metz - le Château Fort et sur son statut. L’un des silos a livré une grande quantité de mobilier céramique daté de La Tène moyenne ainsi que de nombreux résidus de consommation (faune) et des déchets de forge. Le second quant à lui est une sépulture-silo entourée par quatre poteaux. Longtemps considérées comme des sépultures de relégation, mettant ainsi en exclusion les défunts, ces sépultures s’avèrent être plus complexes et révèlent des disparités régionales et intra-régionales dont seule l’augmentation des occurrences permettra une meilleure compréhension de ces pratiques. Avec la jeune défunte mise au jour sur le site de la Croix de Metz - le Château Fort, cela porte à six le nombre d’inhumations en silo pour le Nord-Pas-de-Calais. Une hypothèse d’interprétation peut être avancée ; en effet, l’association du monde des vivants, avec le stockage des denrées alimentaires, l’outillage pour la transformation du grain (le dépôt d’une meule, dans le cas présent), et avec le monde des morts par la conservation des restes du défunt, revêt une expression rituelle et funéraire peut-être propriatoire pour les récoltes à venir ou expiatoire pour une récolte passée.
Les découvertes datées de La Tène moyenne en territoire atrébate ne sont pas rares et particulièrement dans la vallée supérieure de la Scarpe et entre ses affluents que sont le Crinchon à l’est et le Gy à l’ouest. Citons notamment les sites des Bonnettes et de la zone industrielle quatre à Arras non loin de l’oppidum d’Etrun. Le site de la Croix de Metz - le Château Fort à Capelle-Fermont constitue à ce jour l’occurrence la plus occidentale (avec l’usine Pasquier) et la plus récente concernant La Tène moyenne en territoire atrébate. La fouille de ces deux sites (la Croix de Metz - le Château Fort à Capelle-Fermont ainsi que celui des Tourtelottes sur la commune de Haute-Avesnes) offrirait l’opportunité de renouveler nos connaissances sur l’occupation de La Tène moyenne en territoire atrébate et particulièrement dans la vallée supérieure de Scarpe. En dépit de nombreuses occurrences d’occupations de La Tène moyenne en territoire atrébate, peu de fouilles exhaustives de ces ensembles ont été effectuées et il est difficile à l’heure actuelle de mettre en perspective les quelques établissements connus pour la période à l’échelle de la vallée supérieure de la Scarpe et du territoire atrébate de manière générale. Il faut descendre plus au sud, en Picardie, pour trouver des éléments de comparaisons ou encore dans l’Oise avec des sites comme Chevrières ou Verberie.
Référence du rapport
Merkenbreack et al 2015 : MERKENBREACK V., MASSE A., WILKET L., DELOBEL D., MEURISSE-FORT M., DEWITTE O. PICAVET P.,
RD 939, mise à 2 x 2 voies, section Etrun - Aubigny-en-Artois (Pas-de-Calais), "Etrun - Haute-Avesnes - Capelle-Fermont - Agnières - Aubigny-en-Artois",
Rapport final d’opération de diagnostic, Dainville : Centre départemental d’archéologie du Pas de Calais, 288 pages, 198 figures.