Archéologie - Pas-de-Calais le Département
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Rouvroy, Les Vingt Quatre, rue Jean Jaurès, 2020, fouille préventive

La fouille préventive de Rouvroy, Les Vingt-Quatre, s’inscrit à la suite de deux opérations de diagnostic archéologique réalisées en 2008 et 2019. L’opération de 2008 dite de la Rue du 8 mai 1945 a été conduite par V. Thoquenne (Inrap) sur une emprise de 81 970 m². Le diagnostic 2019 est accolé à l’emprise de 2008. Il couvre une superficie de 11 570 m² sondée par Y. Lorin (Inrap).

Les deux diagnostics ont chacun fait l’objet d’une prescription de fouille, motivée par la découverte d’une occupation structurée du Néolithique final, définie par un édifice découvert en 2008, de plan allongé, rectangulaire à extrémité en abside et axe faîtier porteur. En 2019, une palissade possiblement contemporaine de l’habitat a été mise au jour. Un niveau et des fosses détritiques associées à ces ensembles architecturaux ont livré un mobilier varié et conséquent, participant à l’intérêt scientifique notable de ce site dont la surface est évaluée à près d’un hectare.

Le projet immobilier retenu a permis la réalisation en 2020 d’une fouille par la Direction de l’archéologie du Pas-de-Calais de 1 800 m² centrée sur la palissade et les structures adjacentes, laissant de côté, pour le moment, le reste de l’occupation néolithique, notamment le bâtiment identifié en 2008.

La palissade présente un tracé curviligne suivi sur près de 60 m de long. Elle est constituée de 24 poteaux régulièrement implantés, tous les 1,40 m en moyenne. L’aire ceinte définit une surface d’environ 450 m² au sud de l’emprise, qui s’étend au-delà de la surface prescrite, estimée à environ 2 000 m². À l’intérieur de l’enclos, quatre plans de bâtiments sur 4 poteaux d’angle ont été identifiés, pouvant correspondre à des greniers surélevés. Plusieurs fosses, présentes à l’intérieur et à l’extérieur de la palissade, complètent le plan des vestiges.

Cette fouille, malgré la simplicité apparente de la structuration des vestiges : palissade sur poteaux, bâtiments et fosses à vocation artisanale ou domestique, présente à la fois certaines ubiquités et anachronismes. En premier lieu, si la palissade s’apparente aux modèles sur poteaux plantés de la fin du Néolithique, quelques exemples régionaux de sites palissadés sont connus pour le Bronze final / Hallstatt. La présence de bâtiments sur 4 poteaux, inconnus des populations néolithiques, est cohérente avec une attribution chronologique du site aux âges des métaux.

D’autre part, le comblement des trous de poteaux, qu’ils appartiennent à la palissade ou aux édifices livrent des mobiliers archéologiques non synchrones, tels que des charbons de bois néolithiques mêlés à des battitures !

L’ensemble du mobilier archéologique récolté sur le site de Rouvroy a été étudié afin de tenter de dater les différentes phases d’occupations du site et d’appréhender leur fonction respective. Cela n’a pas toujours aisé, les quantités étant globalement faibles, tous mobiliers confondus. La faune n’est pas conservée, la céramique totalise 224 tessons, la série lithique compte 76 pièces et seulement 16 outils. Concernant le mobilier macrolithique, la série ne compte que 12 objets, mais s’est révélée riche d’informations.

Les mobiliers céramique et lithique offrent peu d’éléments de datation. Concernant la céramique, la pâte est dégraissée à la chamotte et deux types de production : fine et grossière, sont identifiées. Le seul élément typologique reconnu est un fond plat. Ces caractéristiques sont communes à l’ensemble des corpus protohistoriques, du Néolithique à la fin de l’âge du Fer. La série lithique rassemble la plupart également la plupart des particularités des sites du Néolithique final, avec l’exploitation d’un silex crétacé local, une majorité d’éclats et d’outils sur éclat, comme le microdenticulé, mais aussi le grattoir, le denticulé et les éclats retouchés. La difficulté pour le mobilier lithique est de pouvoir le comparer aux séries de la fin de l’âge du Bronze et du premier âge du Fer. Ces sites sont généralement tellement pauvres que les collections ne sont pas étudiées et il n’existe pas de synthèse sur les industries lithiques de cette période de la Protohistoire récente.

L’une des fosses situées à l’extérieur de la palissade a livré un lot de 5 fragments intentionnellement brisés et déposés de 3 meules à rebord du Néolithique final. Outre la symbolique rituelle induite par ce geste, sa datation au Néolithique final est avérée. Un casson du même type de meule, voire possiblement issu de l’une des meules déposée dans la fosse a été retrouvée dans un trou de poteau de la palissade. De plus, un fragment de molette correspondant tout à fait à la pièce active associée aux meules de la fin du Néolithique a été découverte dans un autre trou de poteau. La présence de mobilier du Néolithique final est donc à signaler dans la palissade.

Une campagne de prélèvements sédimentaires en vue d’analyses paléoenvironnementales et de datations par le radiocarbone a été réalisée dans le but de compléter les données acquises par les études de mobilier.

À l’issue du tamisage, la conservation des écofacts s’est avérée décevante. Ainsi, la taille des fragments de charbons de bois est trop petite pour que soient envisagées une détermination anthracologique et encore moins de datation par le radiocarbone, exception faite des charbons collectés à vue. De même, si certaines graines carbonisées sont conservées, leur nombre et leur état de conservation ont permis de dresser un inventaire, mais pas de mener une étude approfondie. Au vu du matériel à disposition, la coquille de noisette a été privilégiée pour réaliser les datations par le radiocarbone, les céréales étant uniquement conservées de manière très fragmentaire.

Au total, 8 dates ont été réalisées. Les datations chronométriques de la fosse contenant les fragments de meules de la fin du Néolithique sont cohérentes avec le mobilier macrolithique, avec des résultats centrés autour du milieu du IIIe millénaire. 5 dates sont disponibles pour la palissade, avec 3 résultats au Néolithique final, compris entre -2870 et -2500 BC pour 2 d’entre-elles et une dernière un peu plus récente, entre -2570 et -2300 BC. Les 2 autres résultats obtenus sont datés au Néolithique moyen 2, autour de -4000 BC. Il s’agit du même échantillon daté à deux reprises par deux laboratoires différents. Pour les bâtiments de type grenier, peu de mobilier était disponible, après un premier essai infructueux, un deuxième échantillon a été envoyé, avec une datation malheureusement très ancienne au Néolithique moyen 2 également. 

La grande surprise des refus de tamis est la mise en évidence de micro-déchets magnétiques dans 16 des 21 prélèvements effectués. Ces déchets permettent d’attester une activité de martelage du fer sur le site de Rouvroy. La nature et les dimensions de ces restes limitent leur dispersion aux espaces limitrophes des ateliers. De ce fait, il est possible d’affirmer qu’un espace de travail du fer était présent et qu’il devait donc se situer à proximité des structures testées. Ces résultats, s’ils indiquent l’emplacement d’une forge, ne la date pas. C’est le contexte palissadé du site et des bâtiments associés qui suggèrent une datation a priori protohistorique de l’atelier paléométallurgique. L’éventualité d’une pollution industrielle contemporaine n’est pas envisagée. De telles activités génèrent des déchets tels que des fragments de coke, de laitiers ou de mâchefer, qui sont absents des échantillons archéologiques.

En synthétisant la somme des informations disponibles, les structures dont l’attribution chronologique ne font aucun doute sont les bâtiments et les fosses. Les bâtiments sur 4 poteaux, outre le fait d’être postérieur au Néolithique, sont les structures qui regroupent la majorité des micro-déchets magnétiques. Leur lien avec l’activité de martelage du fer est probable, leur datation supposée pourrait couvrir l’ensemble de l’âge du Fer.

Les deux fosses datées par le radiocarbone au Néolithique final sont situées à l’intérieur et à l’extérieur de la palissade.

La datation de la palissade demeure la plus délicate. Les arguments en faveur d’une datation néolithique les plus convaincants sont les trois datations chronométriques et le mobilier macrolithique. Les lots céramique et lithique sont cohérents avec une attribution au Néolithique final. La présence d’un habitat structuré de type Deûle-Escaut à proximité immédiate de la fouille constitue une raison supplémentaire pour envisager une datation néolithique à la palissade. De plus, les exemples régionaux de sites palissadés de la fin du Néolithique montre des architectures similaires sur poteaux plantés, à Arleux, Baisieux et Houplin-Ancoisne. Le réel point commun entre les trois sites cités est la présence systématique d’un bâtiment au centre de l’espace enclos. Celui-ci serait ainsi situé à l’extérieur de la prescription et n’a donc pas pu être mis au jour lors de la fouille. Une campagne de prospection géophysique par résistivité électrique a été réalisée sur un hectare autour de la fouille afin de vérifier cette hypothèse. Malheureusement, les traitements de données se sont révélés infructueux. Malgré la faiblesse des formations superficielles, la nature argileuse du terrain et les pratiques agricoles n’ont pas permis d’avoir un rendu cartographique favorable à une interprétation archéologique. La datation de la palissade au Néolithique n’est donc pas assurée et une attribution plus récente, au Bronze final ou au Hallstatt est également envisageable.

En effet, même si les arguments sont moins nombreux et moins convaincants pour une attribution à la Protohistoire récente, notamment l’absence de datations par le radiocarbone ou la mise en évidence de mobilier caractéristique, ce scénario reste plausible. L’une des caractéristiques principales des sites palissadés du premier âge du Fer est d’ailleurs l’absence chronique de mobilier archéologique. Le plan général des vestiges de Rouvroy, et notamment l’absence de recoupements stratigraphiques entre les bâtiments présents dans l’enclos et la palissade, concourt à envisager ces vestiges comme contemporains. Toutefois, les sites palissadés régionaux du premier âge du Fer ne présentent pas le même type d’architecture de palissades sur poteaux plantés. Les systèmes palissadés identifiés à Saint-Laurent-Blangy ou Méaulte sont installés dans des tranchées de fondation. Seul le site de Brebières a livré une palissade sur poteaux plantés attribuée à l’âge du Bronze final. La présence de petites architectures sur 4 poteaux situées à l’intérieur et à proximité de la palissade y sont interprétées comme des systèmes d’entrées, ce que pourrait caractériser l’une des constructions de Rouvroy. La palissade de Brebières n’est toutefois pas datée, son attribution chronologique est déduite de la structuration spatiale globale des vestiges et la présence d’un bâtiment à l’intérieur de l’enclos, qui lui est daté par le radiocarbone au Bronze final. Cet exemple reste donc unique pour la Protohistoire récente et sa datation demeure quelque peu équivoque.

En l’absence d’architectures palissadées avérées sur poteaux plantés clairement identifiées régionalement pour le premier âge du Fer, la palissade de Rouvroy présente, en l’état actuel des connaissances, plus d’affinités pour une attribution au Néolithique final. Ce penchant pourra être discuté à la lumière des futures opérations archéologiques dans ce secteur en plein développement urbain. La vision extensive des sites de Rouvroy permettra à terme de mieux comprendre la structuration globale de ces occupations et leur chronologie.

Rouvroy, Les Vingt-Quatre, vue aérienne de la fouille,

Référence du rapport

Panloups et al. 2021 : Panloups É., Aubry L., Cadart J., Derreumaux M., Jagou B., Meurisse-Fort M., Monchablon C., Sadou A.-L., Wilket L.,

Rouvroy (Pas-de-Calais), « Les Vingt-Quatre »,

Rapport final d’opération de fouille préventive, édition Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais, Dainville, 212 pages, 120 figures.