L’opération de fouilles archéologiques réalisée par la Direction l’Archéologie du Pas-de-Calais au lieu-dit Le Complet sur le territoire de la nouvelle commune de Saint-Augustin a été l’occasion d’aborder une partie d’un domaine rural (habitat et nécropole) dans la campagne proche de Tervanna, caput civitatis Morinorum, au Haut-Empire. Ce site d’habitat n’est pas le fait d’une création ex nihilo puisque des vestiges nous révèlent l’existence d’une occupation antérieure laténienne dans ce secteur, au sein des parcelles orientales limitrophes. Nous sommes donc en présence d’un établissement rural qui perdure sans hiatus chronologique de La Tène moyenne jusqu’au moins la fin du 2ième siècle après J.-C. Notons pour rappel et pour les périodes plus anciennes, la mise au jour lors du diagnostic de fosses et d’un fossé datés du Néolithique à 200 m au nord en contrebas du site d’habitat romain (Leroy-Langelin et al. 2017). La dernière période caractérisée sur le site se rattache à la Première Guerre mondiale et correspond à un secteur lié à l’entraînement des troupes. La fouille s’est faite sur deux emprises, respectivement de 2500 m² et 9000 m², distantes l’une de l’autre de 300 m et synchrones pour le premier siècle après J.-C.
Les vestiges antiques d’habitat et funéraires sont intéressants à plus d’un titre. Intrinsèquement d’une part, puisqu’il nous est permis de connecter une partie d’une occupation rurale avec son cimetière familial dans un secteur géographique jusque-là peu investi (en dehors de Thérouanne bien évidemment). Concernant la petite nécropole fouillée dans son intégralité, la mise au jour de sept tombes vient abonder les données funéraires du territoire rural des Morins, tant sur le plan chronologique, que pour le mobilier, sa provenance, la morphologie des tombes ou encore les pratiques rituelles. Enfin, replacée dans son contexte d’arrière-pays immédiat de la capitale des Morins, l’occupation antique du Complet est ici l’occasion d’appréhender l’organisation du territoire dans le giron immédiat de Tervanna, la chronologie de cette organisation du paysage ainsi que sa structuration.
La fouille du cimetière familial du premier siècle après J.-C. s’est ainsi révélée exceptionnelle à plus d’un titre. En effet, chaque tombe était dotée en moyenne d’une quinzaine de céramiques accompagnées parfois de verreries ou de petit mobilier comme de petits miroirs rectangulaires en bronze. Ainsi, une centaine de céramiques complètes, et pour certaines intactes, caractérisent cette petite nécropole du Haut-Empire. Pour nombre de sépultures, les traces du coffrage en bois étaient encore visibles, avec pour certaines tombes, les planches et leur mode d’assemblage très bien conservés, ce qui permet de comprendre les différentes étapes de la mise en terre des restes du défunt. Il a ainsi été clairement identifié pour plusieurs tombes, le dépôt d’un vase (en verre ou en terre cuite) sur la planche qui vient sceller le coffrage de la sépulture. La richesse des sépultures à crémation s’exprime ici par le nombre et la qualité des offrandes déposées. De 15 à 21 céramiques sont présentes, comprenant de la vaisselle courante mais également des services à ablutions en céramique dorée, un calice ou encore des balsamaires. La mise au jour lors du diagnostic d’une coupe en verre exceptionnelle, déposée sur le coffre de l’une des tombes, fait l’une des spécificités et originalités de cet ensemble funéraire remarquable. En effet, ladite verrerie est une coupe côtelée de type Isings 3a caractéristique du premier siècle mais ici de couleur blanche opaque, fait extrêmement rare. Il s’agit en l’occurrence du deuxième exemplaire découvert en France, un autre étant mentionné hors contexte à Vaison-la-Romaine (Merkenbreack 2018). D’un point de vue chronologique il faut noter le caractère précoce de certaines tombes, de la première moitié du premier siècle, et notamment la tombe fondatrice à triple ossuaires regroupant 4 individus et qui est datée de la période julio-claudienne. Nous sommes ici contemporains des indices les plus précoces mis au jour jusqu’à maintenant au sein de la capitale des Morins ; notamment certaines tombes de la nécropole du Mont Saint-Martin ou du secteur des Oblets (Blamangin et al. 2011 : 68-69).
Enfin, avec une approche plus archéogéographique, l’analyse succincte des éléments topographiques et cartographiques de ce secteur comprenant le site du Complet et les abords de Tervanna, ajouté au phénomène d’isoclinie fréquemment mis en avant dans les études d’archéologie du paysage et observable ici, il est indéniable que la campagne orientale de Thérouanne est bien structurée à l’époque antique (Merkenbreack 2019) et que le site fouillé dans le cadre de l’extension du Parc des Escardalles s’insère parfaitement dans cette organisation spatiale et vraisemblablement administrative de la proche campagne du chef-lieu de la cité des Morins et ce au cours de la première moitié du premier siècle a minima.
Vincent Merkenbreack
Référence rapport
Merkenbreack V.(Directeur), Maniez J., Afonso-Lopes E., Delobel D., Chombart J., Boutteau D., Majchrzak.N.,
Saint-Augustin (Pas-de-Calais), « Parc des Escardales - Le Complet »,
Rapport final d’opération de fouille, édition Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais, Dainville, 2020, volume 1, 372 pages, 348 figures, volume 2, 248 pages, 114 figures.