Le diagnostic archéologique des parcelles AB136 et 137, rue Saint-Jean à Thérouanne, conduit par la Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais du 17 au 23 août 2017, a concerné toute l’emprise des parcelles vouées à la construction d’un parking pour le futur pôle communautaire, soit 1134 m². Excepté un, les sondages réalisés ont été limités en profondeur en raison de l’aménagement et dans un souci de préservation des niveaux archéologiques. L’opération est localisée en plein coeur de l’antique cité de Tervanna chef-lieu de la Cité des Morins, au sein de la Vieille Ville, le long de la rue Saint-Jean qui est l’axe principal de la cité épiscopale, et non loin de la Porte du Saint-Esprit. Les parcelles concernées se trouvent à proximité de vestiges de l’époque romaine, du Moyen Âge et de la période moderne qui ont été mis au jour ces dernières années sur les parcelles adjacentes, dans la Vielle Ville ou dans le secteur des Bachinets, route de Clarques à environ 150 m à l’est. Même si la ville de Thérouanne fut rasée par Charles Quint en 1553, les vestiges du Moyen Âge n’en demeurent pas moins importants et bien conservés. La topographie de la Vieille Ville est fortement marquée, ce qui s’observe également à l’échelle des parcelles AB136 et 137. Les vestiges apparaissent soit directement sous la couche de terre végétale soit sous les niveaux de destruction de la ville. Cinq sondages ont été ouverts sur l’emprise représentant 11 % de la surface prescrite.
La stratigraphie observée est extrêmement dense et s’échelonne de l’Antiquité à la période contemporaine, en passant par la destruction de la ville en 1553. Le quart sud-ouest de l’emprise, où vraisemblablement prenait place une cave à l’époque moderne, a été pillé sur une profondeur indéterminée, qui pourrait être de l’ordre de 3 m si l’on se réfère aux exemples récents mis au jour plus au nord le long de la rue Saint-Jean (Merkenbreack 2017b). Les trois autres quarts des parcelles AB 136 et 137 ont livré des vestiges directement sous la terre végétale ou juste en-dessous de la couche de nivellement qui intervient après 1553, soit entre -0,20 m et -0,50 m sous le niveau de sol actuel. La stratigraphie sur ce secteur est supérieure à 2,50 m à l’instar de toutes les parcelles situées au sein de la Vieille Ville, y compris dans le bas de la ville.
Le diagnostic a révélé une occupation préservée et dense du site pour le Haut-Empire, le Bas-Empire ainsi que des éléments structurants de la ville médiévale et moderne sous la forme de constructions et par la mise au jour de la rue Saint-Jean originelle.
Pour la période romaine, au moins trois phases sont représentées avec une alternance entre les périodes d’occupation (niveaux de sol, bâtiment excavé, structures en creux) et les phases de destruction liées à des incendies. Le mobilier archéologique mis au jour est caractéristique du Haut-Empire et l’essentiel du matériel ne dépasse pas le 3ième siècle après J.-C. et est daté majoritairement de la période flavienne et du 2ième siècle après J.-C. Le fait étant rare, il est important de noter qu’un niveau de remblai contenant du mobilier daté du Bas-Empire a été mis au jour (4ième - 5ième siècle). Cette occurrence nous questionne une fois de plus sur l’étendue de la ville romaine durant l’Antiquité tardive et sur son organisation, notamment après la mise au jour de l’enceinte fortifiée en 2015 (Merkenbreack 2017a). La présence de plusieurs niveaux de destruction par le feu (couches de torchis rubéfié) fait écho aux observations réalisées aux abords de la route de Clarques lors d’opérations de diagnostics (Blamangin 2004 et Merkenbreack 2014). Ce secteur de Tervanna, localisé entre le quartier des Bachinets et le haut de la Vieille Ville, a donc une vocation domestique au regard des structures et du mobilier mis au jour, même si la présence d’autres activités n’est pas exclue.
La période médiévale / moderne est surtout caractérisée par la mise au jour de la rue Saint-Jean originelle et celle de deux édifices de grande taille dont la vocation reste, pour le moment, indéterminée. La vision complète de l’organisation topographique de la parcelle demeure ardue sans un décapage extensif.
La présence de ces édifices suscite de nombreuses questions et apporte des données inédites pour ce secteur de la Vieille Ville à proximité de la Porte du Saint-Esprit. La mise au jour de la rue Saint-Jean, préservée sous l’actuelle et mesurant au moins 10 à 12 m de largeur, nous permet d’entrevoir l’aspect que devait avoir l’axe principal de la cité épiscopale.
Pour les lecteurs réguliers de mes rapports concernant Thérouanne, le caractère itératif de ma conclusion ne les étonnera pas. Ainsi, l’opération de diagnostic sur les parcelles AB 136 et 137, rue Saint-Jean, confirme une fois de plus que chaque opération réalisée à Thérouanne, dans la Vieille Ville, révèle des données nombreuses et inédites ainsi qu’une puissance stratigraphique conséquente.
L’agencement et l’organisation topographique des vestiges des parcelles AB 136 et 137 doivent être appréhendés sur une surface plus large que l’emprise d’un diagnostic. L’opportunité d’intervenir intra-muros sur une surface aussi vaste et avec une stratigraphie conséquente préservée de l’Antiquité à la destruction de la ville en 1553 est exceptionnelle.
Vincent Merkenbreack
Référence du rapport
MERKENBREACK (V.), avec la collaboration de AFONSO-LOPES (E.), AGOSTINI (H.), GUIDI-RONTANI (G.), MORREALE (J.-R.),
Thérouanne (Pas-de-Calais). «Friche Ledoux - parcelles AB 136 et 137»,
Rapport final d’opération de diagnostic, édition Direction de l’Archéologie du Pas‑de‑Calais, Dainville, 2017, 212 pages, 120 figures.