Le diagnostic archéologique des parcelles AB 186 et 257, rue Saint-Jean, conduit par la Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais du 25 novembre au 2 décembre 2019, a concerné la totalité des parcelles vouées à la construction d’un pavillon individuel, soit 2138 m². Les sondages réalisés ont été limités en profondeur à l’emplacement du futur aménagement et dans un souci de préservation des niveaux archéologiques. Deux sondages plus profonds ont néanmoins permis d’aborder la stratigraphie sur plus de 2,50 m de profondeur. Cinq fenêtres d’observations ont été ouvertes sur l’emprise représentant 10 % des parcelles. L’opération est localisée en plein cœur de l’antique cité de Tervanna chef-lieu de la Cité des Morins, au sein de la Vieille Ville et le long de la rue Saint-Jean qui est l’axe principal de la ville épiscopale. Cette rue mène directement de la Porte du Saint-Esprit (au sud) à la cathédrale (au nord). Les parcelles concernées se trouvent à proximité de vestiges des époques romaine, médiévale et moderne qui ont été mis au jour ces dernières années (Blamangin et al. 2011b) et jusqu’à très récemment (Vistel 2020 à paraître). En dépit du siège de 1553 et de la récupération intensive des matériaux dans les années qui suivirent, les vestiges n’en demeurent pas moins importants et bien conservés et, contrairement à ce qui a déjà été observé de part et d’autre de la rue Saint-Jean, le front de la rue, présentement, a été visiblement bien moins impactés par les pilleurs.
La stratigraphie observée, d’une forte densité, s’échelonne de l’Antiquité à la destruction de la ville en 1553. Les vestiges mis au jour apparaissent directement sous la terre végétale, soit autour de -0,20 m sous le niveau de sol actuel en moyenne.
Le diagnostic a livré deux maçonneries antiques et une voie. Ces découvertes viennent abonder incontestablement la connaissance de Tervanna. Thérouanne, ville-terrasse, n’est plus une hypothèse mais bien un fait avéré et la découverte d’un mur de terrasse antique en opus vittatum mixtum vient illustrer à nouveau cette morphologie urbaine et met en exergue l’existence d’au moins 6 terrasses. La découverte la plus surprenante concernant la période romaine réside en la mise au jour d’un tronçon de voirie de belle facture et construit sur une puissance stratigraphique supérieure à 2 m. Le mode de construction de cette rue renvoie à ce que nous avons déjà pu observer notamment aux Bachinets (Blamangin 2004, Merkenbreack et al. 2014, Merkenbreack 2019). Nous ignorons cependant sa largeur complète. La position topographique du tracé de cette voie, dans la continuité de la chaussée Brunehaut, remet en cause la nature même de la route de Boulogne en tant que voie romaine, ou du moins en tant que continuité de la voie Arras - Boulogne. Il semble donc, à la lueur de ces faits nouveaux que la voie découverte au sein des parcelles AB 186 et 257 corresponde à un cardo de la ville antique et très vraisemblablement au cardo maximus. Le devenir de celui-ci sur le haut de la Vieille Ville reste à appréhender sachant qu’il conduit vraisemblablement au forum de la cité.
La période médiévale et la première moitié du 16ième siècle sont caractérisées par plusieurs phases. Le secteur semble dévolu tout d’abord à l’artisanat (potier) aux alentours des 13ième et 14ième siècle (faisant écho avec les découvertes sur une parcelle limitrophe ; Vistel 2020) et plus vers le fond de parcelle ; le front de rue quant à lui s’avère occupé par un bâtiment prenant appui sur le mur de terrasse antique. Dans un second temps, un vaste ensemble bâti prend place sur la totalité de l’emprise (voire plus).
Deux hypothèses s’offrent à nous.
Soit nous sommes en présence d’une seule et même propriété qui nous orienterait vers un édifice conventuel, doté d’espaces de vie au nord et d’une chapelle/église au sud.
Soit il s’agit de deux édifices distincts délimités par un mur de clôture et qui correspond encore de nos jours à la limite parcellaire. Au nord, nous aurions ainsi une succession de pièces d’une construction en L dont la nature nous échappe (habitat ? Artisanat ? Autre ?) ; au sud, nous serions en présence d’un édifice religieux sous la forme d’une église donnant sur la rue Saint-Jean et recevant en son sein des sépultures.
Que ce soit l’une ou l’autre des hypothèses, le potentiel archéologique est énorme, le renouvellement de nos connaissances sur la ville médiévale le serait tout autant. La littérature abondante au sujet de Thérouanne fait état de couvents et d’abbayes au pluriel, il en va de même pour les églises. On sait, concernant les églises, qu’il y a au moins la paroisse Saint-Nicolas située intra muros (à l’est de la rue Saint-Jean) et la paroisse Saint-Martin qui est encore le vocable de l’église située entre les deux bras de la Lys. Notons aussi l’existence de Saint-Martin-de-Nielles (le faubourg), d’une chapelle en face du bastion de la Patrouille ou encore de Saint-Martin-au-Mont à l’est de la ville. à la lecture de gravures anciennes, il y a également une église Saint-Martin intra muros. Hector Piers, en 1832, en cite 3 au 10ième siècle lors d’une reconstruction sous le comte de Flandre Baudouin quatre.
Concernant les couvents et abbayes, l’on connaît le couvent de Saint-Augustin (à l’extérieur de la cité en direction de Clarques), il est fait mention de religieuses de l’ordre de Saint Dominique, de Soeurs-Grises et bien évidemment de l’abbaye de Saint-Jean-au-Mont sur la colline du même nom au nord de la ville. Il apparaît, là encore selon des auteurs anciens, que ledit monastère fut transféré de la rue Saint-Jean intra muros à la colline au nord mais que l’abbaye possédait une maison séant en la rue de Sainct-Omer, maison qui figure également sur une gravure.
Toujours est-il, la documentation est abondante et non encore dépouillée en intégralité. Il reste à confirmer ou infirmer les hypothèses quant aux fondations découvertes au sein des parcelles AB 186 et 257 et ici, seule l’archéologie et une fouille exhaustive pourraient combler nos lacunes.
L’on effleure donc une fois de plus la face émergée de la stratification archéologique de Thérouanne. Il reste tant à faire, tant à écrire, tant à fouiller ; les parcelles AB 186 et 257 sont ici une belle opportunité pour l’archéologie préventive certes, mais aussi pour la connaissance et la valorisation de ce site d’exception.
Référence du rapport
Merkenbreack (V.), Dewitte (O.), Boutteau (D.), Agostini (H.), Maniez (J.), Majchrzak (N.), Delobel (D.)
Thérouanne (Pas-de-Calais), Rue Saint-Jean, parcelles AB 186/257
Rapport final d’opération de diagnostic, édition Direction de l’Archéologie du Pas‑de‑Calais, Dainville, 2020, 258 pages, 153 figures.