Des pavements exceptionnels et des vestiges de bâtiments de la Cour Lévêque ont été mis au jour à Saint-Martin d’Hardinghem. Au Moyen Âge, les évêques font bâtir des résidences secondaires et l’évêché de Thérouanne fait de même. La fouille dirigée par l’Inrap avec la collaboration des archéologues du Pas-de-Calais, précède les aménagements limitant les inondations dans la vallée de l’Aa.
Crédit : CD62.
Des pavements exceptionnels
La découverte des pavements est exceptionnelle par leur état de conservation et leur superficie. Il est rare de trouver ce type de structure datant du Moyen Âge dans un contexte civil de fouille archéologique. Les pavements sont classés au titre des Monuments Historiques depuis 2018.
Ces pavements se situent dans 2 espaces :
- Le premier espace de 144 m² est celui de la salle d’apparat.
- Le deuxième espace de 53 m² correspond à la galerie.
Vue aérienne de la partie résidentielle de la Cour Lévèque
Vue aérienne de la partie résidentielle de la Cour Lévèque.
Vue aérienne de la partie résidentielle de la Cour Lévèque avec les indications.
Trois passages dans les murs et l’usure des carreaux permettent entre autres d’établir des zones de circulation. L’un des passages communique entre la salle d’apparat et la galerie (en bas à gauche de l’image ci-dessous).
Le damier de la salle d’apparat
Le pavement de la salle d’apparat est organisé sur le modèle du damier. Les carreaux sont estampés bicolore jaune sur fond vert. Les carreaux mesurent en moyenne 13 cm de côté et 2 cm d’épaisseur. Le pavement est divisé en 3 parties de 48 m² chacune.
Le damier de la partie centrale
La partie centrale se situant devant la cheminée se distingue par son assemblage de 4 carreaux formant l’une des couleurs du damier.
Le damier en diagonale de la salle d’apparat
Pour les 2 parties latérales de la salle d’apparat, les carreaux sont disposés en diagonale et forment un damier.
Dans cette salle, on dénombre environ 6 700 carreaux, ils sont composés de :
- 39 motifs différents pour les carreaux historiés,
- 35 types de carreaux monochromes.
Les tapis de la galerie
Les carreaux du pavement de la galerie n’ont pas les mêmes caractéristiques que ceux de la salle d’apparat. Ce pavement est organisé pour former plusieurs tapis côte à côte. Les décors géométriques se différencient des uns des autres. L’un de ces tapis est composé de 621 carreaux et il a pour dimensions 2,40 m par 1,50 m. Les carreaux de la galerie mesurent environ 12 cm, c’est un centimètre de moins que ceux de la salle d’apparat. La fonction de cette galerie sert probablement de lieu pour la promenade ou de discussion pour aborder les affaires sérieuses. La qualité du pavement fait valoir le rang social des résidents aux visiteurs.
Les carreaux des pavements
Les carreaux des pavements sont réalisés avec la technique du décor estampé bicolore. Cette technique date de la seconde partie du 13ième siècle. Sur l’une des faces d’un carreau d’argile crue, un motif est imprimé avec une estampe de bois sculpté en relief. Avant de recouvrir la totalité du carreau avec une glaçure, les creux sont remplis d’un engobe qui donne après la cuisson la couleur au motif. L’engobe est de l’oxyde mélangé à l’argile. La couleur de l’engobe est différente en fonction du type d’oxyde utilisé. La couleur verte de la glaçure est réalisée en mélangeant de l’oxyde de cuivre à de la terre rouge.
Les décors sur les carreaux peuvent être décomposés en 4 thématiques :
• Le bestiaire (naturel, symbolique ou fantastique),
• Les personnages (réels ou fabuleux),
• Les sujets héraldiques (figures animales, châteaux, fleurs de lys, etc.),
• Les motifs géométriques ou floraux (autonomes, fermés par assemblage de quatre ou ouverts, c’est-à-dire combinables à l’infini).
Conservation et restauration des pavements Les pavements de Saint-Martin d’Hardinghem, étant déclarés « découverte exceptionnelle », ont été déposés dans leur totalité. En d’autres mots, ils ont été prélevés soigneusement en 676 plaques. L’ensemble des plaques est conservé à la Maison de l’Archéologie du Pas-de-Calais dans une salle à température et hydrométrie constantes.
La restauration se fait en 4 étapes :
- Les traitements préliminaires,
- Le nettoyage,
- La consolidation,
- Le collage sur un support stratifié.
Panneau d’exposition regroupant 30 carreaux de la salle d’apparat. Lors de l’exposition temporaire « Les Matières du Temps » (2018-2019) au Louvre Lens, le panneau restauré ci-dessus est présenté au public. Les 30 carreaux choisis se situent devant la cheminée de la salle d’apparat.
Les bâtiments
La fouille a permis d’établir un plan partiel du domaine. Elle met en évidence 2 zones aux fonctions différentes :
- La résidence secondaire de l’évêque est entourée d’une douve, le tout protégé par un mur d’enceinte ;
- L’espace extérieur est une partie agricole avec une grande bâtisse (écurie, grange…) jouxtant une petite habitation.
Au cours de son existence, le domaine a connu des changements dans son architecture et des évolutions de son mur d’enceinte.
Vue aérienne de l’emprise de la fouille
Vue aérienne de l’emprise de la fouille.
Vue aérienne de l’emprise de la fouille avec la reconstitution graphique des éléments mise au jour.
Le ponton en bois
Un ponton en bois traverse la douve entre la partie résidentielle et l’espace domestique et agricole. L’analyse des anneaux de croissance des troncs d'arbres (la dendrochronologie) permet une datation du début du 15ième siècle.
Les vestiges d’une trentaine de pieux en chêne témoignent de sa présence d’un ponton en bois.
La cuisine
Avant la création de la douve, la cuisine se situe à l’emplacement indiqué sur la vue aérienne. La cuisine possède deux foyers (central et mural). Il est probable qu’une autre cuisine soit construite à l’intérieur du périmètre de la résidence (hors du secteur de la fouille).
Vestiges de la cuisine se trouvant à l’extérieur de la partie résidentielle.
L’espace domestique et agricole
Les vestiges de la maçonnerie de l’écurie ont mis en évidence la distribution particulière des espaces pour répartir les animaux (stalle). Un espace est dédié aux activités de forge. Vue aérienne des vestiges de l’espace domestique et agricole.
Quelques indices sur la vie quotidienne
Les ossements
Les ossements attestent d’une consommation d’animaux d’élevages et principalement d’origine bovine. Les os retrouvés de jeunes porcs révèlent la préférence des résidents pour de la viande tendre. Les résidents ont vraisemblablement l’aisance financière pour profiter d’une nourriture de qualité. D’autres ossements de caprinés (moutons, chèvres, etc.) proviennent d’animaux âgés. L’élevage de ces animaux est principalement destiné à la production de laine ou de lait.
Le mobilier retrouvé
Il est probable que les évêques voyagent avec les objets nécessaires pour le temps du séjour. La grande partie du mobilier archéologique retrouvé semble appartenir aux gestionnaires en charge de la résidence :
- Des céramiques (cruches, cruches à boire, couvre-feux, poêlons et tèles) sont abondantes.
- Une marmite en cuivre avec une anse en fer.
Néanmoins, la présence inhabituelle d’un grand nombre d’encriers montre l’importance de l’écrit pour le monde ecclésiastique. Une croix pendentif en or atteste également de l’aisance des résidents.
Les références documentaires
La fonction principale étant une résidence de campagne, les sources documentaires sont rares. Voici les mentions de la Cour Lévêque :
- En 1314, l’abbé de Saint-Bertin de Saint-Omer et l’évêque de Thérouanne signent un accord à « Dardinghem, in camera nostri » (dans notre chambre à Dardinghem),
- Au 15ième siècle, le domaine est cité plusieurs fois dans des accords sur la gestion des cours d’eau avec la seigneurie de Fauquembergues,
- En 1569, l’imposition du centième instauré par Philippe II (roi d'Espagne) permet de recenser les propriétaires dans l’Artois. Cet impôt concerne les biens fonciers, amassés (bâtis) ou non. Les lieux sacrés, les demeures seigneuriales et les biens communaux sont exemptés (sauf en cas de location). Gérard de Haméricourt, évêque de Saint-Omer, est désigné comme propriétaire de la « place et censse de la cour Lévesque qui tient à present a ferme et louage Pierre De lariie». On apprend dans ce document que le domaine est affermé (loué), (Source : Vue n° 2, page de gauche sur le site des Archives du Pas de Calais).
- Entre 1605 et 1610, le domaine figure en arrière-plan de la vue de Merck-Saint-Liévin dans un dessin préparatoire de l’équipe d’Adrien de Montigny pour les gouaches des Albums de Croÿ. Il est mentionné en haut à droite « viel chastiau nommé La court levecque »,
- Au 17ième siècle, des laboureurs sont mentionnés comme exploitants du lieu,
- Au 18ième siècle, le domaine semble tomber en ruine et être abandonné, même si le lieu-dit « Ferme des Eveques » apparaît encore sur la carte de Cassini de 1758. En 1779, le domaine n’apparaît plus dans le rôle d’imposition du centième,
- Au 19ième, en 1811, l’enquête agricole et rurale mentionne « Il existait le palais de campagne des Évêques de Thérouanne (sis cour Lévecque) dont il ne reste que des vestiges, et une tour antique espèce de forteresse à créneau d'immense épaisseur entièrement conservée. » (source de la transcription wikipasdecalais.fr). À partir de 1830, la ferme disparait du cadastre napoléonien.